"Le grand Retournement" aborde d'une manière très originale la crise économique qui secoue notre hémisphère depuis quelques années. En adaptant la pièce de théâtre de Frédéric Lordon, pièce écrite en alexandrins qui plus est (oui, messire), Gérard Mordillat donne un éclairage ludique sur une série d'évènements (crise des subprimes, sauvetage des banques, explosion de la dette...) qui ont fait les choux gras des JT. C'est grave et léger à la fois, bien rythmé et bien interprété (Weber et Morel au top, courte mais excellente apparition de Baer...) mais on aurait préféré voir ce film au moment des faits parce là, il donne l'impression d'arriver un peu après la bataille. La caricature du président ray-ban, par exemple (eh oui, comme dans le théâtre classique, on ne se prive pas pour ridiculiser les puissants), c'est bien joli mais c'est du réchauffé. Et puis, si on suit le cours des évènements, la révolution évoquée à la fin du film, ça devrait être pour maintenant. Or, Mordillat a beau illustrer -assez maladroitement, d'ailleurs- cette révolution par des images d'actualité (manifs, affrontements...), on n'a quand même pas l'impression que ça bouge tant que ça dans la réalité. S'il s'agit d'un vœu pieux, il aurait peut-être fallu le défendre avec un peu plus de conviction. A côté de tout ça, si la démonstration anticapitaliste (le marché qui se régule tout seul, mon œil...) est assez efficace, bien qu'enfonçant bon nombre de portes ouvertes, pas sûr que la forme puisse vraiment emballer et attirer de nouvelles recrues pour la lutte des classes et l'avènement de la dictature du prolétariat : le choix du texte en vers, souvent amusant, parfois déconcertant, s'avère au final assez vain et le décor d'usine désaffectée, véritable vestige industriel, crée par sa froideur comme une distance entre le spectateur et le sujet. Bref, à partir d'un sujet inquiétant mais dépassé, les auteurs nous ont livré une bouffonnerie inoffensive mais intéressante en s'adressant surtout à un public convaincu mais apathique. Magie du cinéma : la farce, c'est dans la salle, la tragédie, c'est quand on en sort.