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    La Vie n'est pas immobile
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    anonyme
    Un visiteur
    4,5
    Publiée le 10 janvier 2013
    Extrait article
    Lussas 2012 : les voies de l'espoir
    Olivier Barlet

    Compte rendu critique des États généraux du film documentaire, qui se sont tenus à Lussas (Ardèche) du 19 au 25 août 2012 : comment les films se font-ils vecteurs d'espoir ?Bousculer l'ordre établi

    Un festival a toujours quelques moments de grâce. On ne les capte pas tous, ne pouvant être partout à la fois, mais cette année, Lussas en regorgeait. À commencer par deux films qui, mis en perspective, proposaient de façon fort semblable malgré leur diversité d'approche un de ces moments très particulier. Deux jeunes réalisateurs africains, un homme et une femme, forts du poids et de l'écoute que leur ont apporté leurs premiers films dans leurs communautés d'origine, se permettent de la bousculer à bon escient, non par ego mais par sentiment de l'urgence et de la nécessité, et font de ce mouvement un partage en réalisant sur cette base un nouveau film qui pourra mobiliser ceux qui le verront et renforcer leur capacité de résistance et leur créativité. Nous en retirons une magnifique expérience de sociétés en mouvement, vibrant de rapports de forces et de remises en cause, et voilà brisés les derniers contreforts de nos préjugés sur l'immobilité et la primitivité de l'Afrique. Mais nous en retirons surtout la conviction que ces sociétés ont en elles-mêmes les forces nécessaires à la construction de leur avenir, ce qui recentre grandement la "pédagogie du développement".

    Ces deux jeunes réalisateurs utilisent la mise en scène de leur film pour confronter les protagonistes, ce qui donne des scènes que leur envierait la fiction tant leur ancrage dans le réel fonde leur édifiante puissance. Dans La Vie n'est pas immobile, dont le titre annonce déjà ce mouvement, Alassane Diago revient dans son village natal, où il avait proposé à sa mère de se confier à sa caméra dans Les Larmes de l'émigration, retour sur sa propre enfance en dialogue avec cette mère qui continue d'attendre dans un dénuement total un mari parti vingt-trois ans plus tôt sans plus jamais donner de nouvelles. La Vie n'est pas immobile dévoile une partie du hors-champ de ce premier film, la mère ne subsistant que grâce au jardin qu'elle cultive, que ce premier geste de cinéma ne nous montrait pas, dans son désir de se concentrer sur la relation et la mémoire. C'est en effet l'impressionnante détermination des femmes que documente ce deuxième film. Il débute de semblable façon par l'abnégation d'une tante d'Alassane, Houlèye Ba, dont le mari malade vit reclus à l'écart de tous depuis une quinzaine d'années et dont les larmes sont proches de celles de sa mère. Mais nous voyons cette femme se révéler motrice dans l'association des femmes du village pour cultiver le jardin collectif (dont elle situe l'origine dans les difficultés liées à l'émigration des hommes) et finalement développer un discours radicalement féministe, démontrant si cela était encore nécessaire que le degré de conscience des femmes est tout aussi vif dans les contrées les plus reculées !

    Face à la bêtise des hommes qui leur coupent l'eau d'arrosage en leur reprochant de la gaspiller, Alassane soutient ouvertement les femmes lors de la réunion du conseil des sages du village : "Les femmes m'ont donné leur version et c'est à vous maintenant !". Mais il le fait avec une infinie subtilité et humilité, respectueux des coutumes et conscient des possibles. Sa caméra suit l'arrivée de chacun des hommes, louangés par le griot de service, tandis que les femmes sont introduites en groupe, le rituel ne les différenciant pas plus que la masse que montraient les vieux films coloniaux. Il prend soin de laisser parler les hommes sur leur perception de son dernier film. On perçoit combien ils sont coincés entre la nécessité économique de l'émigration et les drames qu'elle entraîne, mais aussi entre la conscience de la douleur des femmes et la nécessité de préserver leur attente pour que les hommes reviennent prendre leur place auprès d'elles. Ces femmes, Alassane prend bien soin de leur préciser qu'il n'a rien de supérieur à elles. Les choses étant posées (légitimité de sa parole, respect de la complexité et positionnement égalitaire), il se permet d'intervenir en faveur des femmes dont les revenus du jardin permettent notamment de payer l'école à leurs enfants et donc de ne plus devoir quémander. Son intervention est proprement politique : il prend radicalement position dans un rapport de force essentiel au devenir de la communauté villageoise. C'est son statut de cinéaste qui a fait ses preuves et qui a été validé par l'extérieur qui lui permet ainsi d'intervenir malgré son jeune âge. Et c'est la présence de sa caméra qui met les sages dans l'embarras, conscients qu'ils sont que leur image sera vue dans le monde mais aussi qu'ils sont dorénavant, malgré leur isolement au fin fond du Sénégal, une image du monde. Dans leurs explications confuses et embarrassées, ils seront sauvés par l'appel à la prière… Nous ne déflorerons pas davantage le film sur le succès de l'opération et le sort des remontrances de ces indignées africaines, elles aussi ouvertement déçues des politiciens, mais retenons là l'extraordinaire validation d'une démarche de cinéma, rendue possible au départ par l'énorme investissement en énergie et persévérance d'une équipe franco-africaine, celle d'Africadoc, et du tissu professionnel qui s'est peu à peu construit en Afrique autour du cinéma documentaire. Un cinéaste est lancé, qui sait manier l'autorité de sa caméra tout en respectant ceux qu'il filme, qui sait équilibrer et construire son récit pour en restaurer le sens à un spectateur convié à percevoir dans la singularité d'un village paumé en Afrique les enjeux à l'œuvre dans sa propre vie. Et qui aussi, cerise sur le gâteau mais participant du tout, sait communiquer la beauté qu'il voit dans un village balayé par les vents de sable, en proie aux profondes souffrances comme aux vivifiantes solidarités, où la vie est tout sauf immobile. (1)

    On entend sa voix mais il n'est point besoin pour Alassane d'apparaître à l'écran : sa proximité est telle avec ce village que son sujet n'est pas lui-même et son regard mais peut se centrer sur ce qui est à l'œuvre dans ce village et engage son avenir.
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