Star Wars : Les Derniers Jedi laissa la saga dans un drôle d'entre deux : il y avait, d'un côté, l'évidente volonté de Rian Johnson de changer les codes d'une nouvelles trilogie qui ne faisait, jusqu'ici, que de répéter ceux d'anciens films qu'on ne voulait pas revoir en plus spectaculaires sur nos écrans, et de l'autre un manque de courage flagrant sur un statut quo posé en conclusion, surement par ordre des producteurs, où l'on comprenait finalement que le film n'avait rien changé d'autre à la saga que d'avoir éliminé des personnages autrefois principaux qu'on voulait revoir en action.
C'était aussi pour cela que l'on attendait cette nouvelle trilogie : pouvoir suivre les légendes de nos enfances vieillies mais toujours dans la course, capables de défendre, une dernière fois peut-être, la galaxie qui les vit naître, justifiait de supporter les redites abusives et les références aux fans mal incrustées, répétitives, jamais inspirées. 7ème ou 8ème épisodes étaient en cela similaires qu'ils n'apportaient finalement rien de particulier à l'univers, si ce n'est l'humour dispensable made in Disney, devenu la marque de fabrique de toutes leurs franchises à succès.
Ce neuvième épisode, nommé pour la peine L'ascension de Skywalker, devait à la fois conclure et la disneylogie et la lier véritablement avec les 6 films précédents, en plus de clore une épopée familiale vieille de plus de 40 ans : si le pari est à moitié réussi, c'est aussi parce que J.J. Abrams, revenu aux commandes, suit une logique inversée de celle de Johnson en ignorant totalement ce que son prédécesseur avait fait afin de donner suite à son propre septième épisode.
Là où certains avaient reproché les lenteurs intéressantes du huitième épisode, son rythme plus posé, plus propice à l'innovation narrative (qu'elle plaise ou non), Abrams fait le choix banal de laisser tomber cette vision particulière et peu habituelle dans un Star Wars (on se souvient du dernier en date à l'avoir testé, un certain L'attaque des clones) pour la remplacer par d'interminables scènes d'action qu'il maîtrise, ce n'est pas surprenant, de façon presque irréprochable.
Plans séquences généreux et discrets (bien heureusement), montage cadencé, musique bien incrustée, chorégraphies réussies, interactions avec le décors représenté par de superbes effets spéciaux et explosions saisissantes seront au rendez-vous histoire de contenter les fans de la première heure venu chercher leurs doses d'affrontements d'X-Wings et de sabre-lasers, en même temps qu'il apportera, par ses multiples course-poursuites et combats de blasters, toute l'adrénaline attendue par le néophyte curieux de découvrir ou suivre ces aventures multigénérationnelles.
C'est là que le bat blesse : Abrams, loin de vouloir innover et en bon fan qu'il est, se contente du minimum syndical en reprenant dans son intrigue la plupart des attendus d'un blockbuster moderne, de l'amourette à deux balles au grand méchant diabolique, du féminisme d'apparence jamais abordé profondément à la destruction des anciennes figures balancé un peu n'importe comment, sans jamais que les enjeux n'atteignent leur visée initiale.
C'est aussi et surtout dû à cet humour très Disney, répétitif et redondant, bien sûr trop présent; la relation qu'entretiennent deux des personnages principaux, Finn et Poe, en est le parfait reflet : jamais développée par des éléments de vie appris au spectateur, ou de simples caractéristiques de personnalité qui se démarqueraient du reste de cette pléthore de protagonistes, rien de particulièrement intéressant qui fasse qu'on se soucie d'eux.
On tente tout du long de les considérer comme les héros de la nouvelle génération Star Wars, mais c'est à peine cette trilogie finie qu'on comprend que dans l'ordre des choses, aucun de tous ces nouveaux personnages n'aurait jamais pu être ne serait-ce que marquant (ne parlons pas d'iconique). C'est en analysant la relation que tous deux entretiennent avec Rey que cela devient flagrant : toujours entre la séduction dissimulée et l'amitié véritable, ils reproduisent le schéma proposé par la trilogie originale sans aucune maîtrise ou alternative; et face à l'amourette de Rose et Finn dans le huitième épisode, Abrams a apporté une solution pour continuer dans la lignée du septième à entretenir un faux triangle amoureux : supprimer presque entièrement l'origine de leur relation en ne laissant à Rose que quelques secondes dans le cadre, comme si l'objectif était d'évincer tout ce qui fâchait le spectateur moyen dans Les Derniers Jedi.
Là où Luke, Leïa et Han partageaient une réelle connivence de jeu d'acteurs, là où leurs personnages se complétaient à merveille (il n'y avait d'ailleurs pas besoin de montrer Chewbacca ou les droïdes plus que de raison; ils avaient un temps de présence suffisant à l'écran pour s'exprimer, et ne se ramener pas à chaque fois pour annoncer l'apparition d'une nouvelle vanne), le nouveau trio, Po, Finn, Rey, ne fonctionne pour ainsi dire jamais : il auRey fallu une identité entière et homogène à cette trilogie pour mieux le Po Finner.
C'est parce qu'Abrams tente de faire ses huitième et neuvième épisodes en un seul film relativement court pour un blockbuster moderne (2h20 pour développer autant de thématiques et de personnages est dérisoire) que le résultat manque de sens et n'a plus comme seule essence que d'incarner une leçon visuelle de ce qu'il faut faire en terme de spectaculaire avec un blockbuster, sans jamais tenter d'élever sa propre mise en scène très peu variée : L'Ascension de Skywalker, bourré d'incohérences et de personnalités contradictoires, nous présente des choses comme acquises sans qu'on n'y croit jamais.
C'est, à mon avis, à la fois dû à la mise en scène et à son écriture des personnages, en même temps qu'à leur jeu d'acteurs : tous très peu expressifs, plus beaux que talentueux, incarnent des clichés de physiques parfaits auxquels on voudrait ressembler, des mannequins qui rendent parfaitement bien sur des affiches mais ne sont pas capables de jouer la comédie comme le fait le tant moqué mais si talentueux Adam Driver, qui prouve une fois de plus qu'il est le meilleur acteur à camper un rôle nouveau dans cette postlogie.
Incapables de matérialiser à l'écran la solidarité et l'amitié qui lient ses personnages, Abrams use de différents stratagèmes pour faire ressentir au spectateur une émotion de fait artificielle, vidée de toute sa sincérité, de sa beauté : les personnages passent leur temps à apprendre des nouvelles importantes, des révélations sur leur vie avec les yeux larmoyants, comme si pleurait pouvait laisser venir sur un visage peu expressif une palette d'émotions convenables.
D'autres plus rares, et à la voix plus marquante que leur physique, n'enlèvent jamais complètement leur masque; les figurants, pour soutenir l'amitié feinte du trio principal, font ce que dira la voix-off de Poe Dameron en se prenant tous dans les bras, en s'aidant simplement, à se passer des objets éloignés d'un mètre pour gagner du temps, à sourire comme au sein d'un joli chant de Chantons sous la pluie.
L'instant, impensable et inattendu, laisse en tête l'idée suivante : Abrams, s'il ne sait plus comment rendre à l'écran la dynamique souhaitée pour la relation de ses nouveaux personnages entièrement calqués sur les anciennes icônes, a bien compris qu'il ne parviendrait jamais à les rendre attachants, marquants pour une génération, en bref, à la hauteur des personnages de Star Wars qu'on a précédemment retrouvés, toujours avec un plaisir non feint, dans la trilogie originale et la prélogie.
Ainsi débarrassé de tout scrupule, il en vient même à faire de L'Ascension de Skywalker un film anti-cinématographique durant lequel il ne raconte presque plus rien par ses visuels peu inspirés (les plus jolis moments, à base de CGI et de grands décors très sombres, tiennent plus de l'artwork spectaculaire que d'une réalisation à proprement parler) : les voix-off, les dialogues ineptes et stupides entre les personnages, tout ce qui est à base de mot sera le bon moyen de dire au spectateur ce qu'il doit ressentir.
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La scène de la mort de Leïa en est la plus représentative : alors que l'on pouvait s'attendre à juste titre à suivre la disparition du personnage, l'actrice étant décédée il y a bientôt trois ans de cela, le fait de la caler sur le retour de Poe, Finn et Chewbacca tous défaits et ignorant la tragédie, annonçait une scène chargée en émotion, qu'on aurait peut-être voulue silencieuse, discrète, intime.
A peine arrivés, et affirmant qu'ils doivent voir la générale Organa, tout semblait prendre forme pour suivre le schéma d'émotion espéré : bien sûr, il aura fallu qu'Abrams fasse dire à l'un de ses personnages tertiaires de la résistance que Leïa n'était plus de ce monde; sans savoir comment le montrer, le réalisateur/scénariste laisse le fardeau à ses personnages de faire ce qu'il ne sait pas filmer.
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L'Ascension de Skywalker manque ainsi de ce qui fait un film émouvant : le feeling, qu'on pourrait assembler à la sensibilité, à l'intimité de ses scènes, à la beauté fragile de ses plans. Dénué de tout cela, l'oeuvre d'Abrams et Chris Terrio choisit de multiplier les plans larges, les panoramas jusqu'à faire craquer la rétine du spectateur en fin de bobine, ultime bataille toujours en écho aux films précédents durant laquelle on trouvera le temps un peu long.
C'est spectaculaire, impressionnant, presque irréprochable (encore que le bleu sur les flammes d'un vaisseau jurent cruellement avec la qualité habituelle des CGI) mais d'une bêtise affligeante en ce qui concerne les dialogues, bourré d'incohérences et d'une absence de développement de personnages absolument frustrante : le retour d'anciennes figures cultes tombe à l'eau, autant que le retour des chevaliers de Ren, annoncés rien que sur l'affiche, confirme comme pour les deux précédents films, que les "nouveautés" d'Abrams véritablement intéressantes n'auront eu qu'une place infime et oubliable, suffisamment pour être expulsés de la saga sans aucun poids dans l'intrigue.
L'entreprise, trop importante pour devenir une réussite, fait écho aux deux précédents projets du scénariste Chris Terrio, qui bossa tour sur tour sur deux oeuvres extrêmement conspuées : l'une, la plus réussie des trois, Batman v Superman, dont le sens profond a complètement été bafoué par un divertissement repompé des plus grands succès de Disney, Justice League. On y trouve paradoxalement les mêmes défauts de rythme, de scènes qui s'enchaînent sans trop de lien entre elles, et de personnages balancés dans la soupe dont on suivra les rares exploits sans jamais pouvoir mesurer leur importance dans l'intrigue globale.
Un projet de trilogie sans les Skywalker, avec de nouveaux codes et une nouvelles grande histoire, qu'on espère menée par la vision d'auteur de Rian Johnson (le récent A couteaux tirés fera changer d'avis les plus sceptiques; j'écris en connaissance de cause) serait la seule alternative envisageable aujourd'hui pour rattraper l'épée tombée dans la rivière que fut cette Disneylogie sans grande saveur, originalité et prise de risque.