Une famille bourgeoise sur l’île de Ré
Si un résumé du nouveau film de Shalimar Preuss portait ce titre banal, rien ne serait omis, l’intituler « Ma belle gosse » c’est trop dire. Par cette formule d’appel douce sont introduites les rêveries romantiques d’un prisonnier qui, par ses lettres, donne des fantaisies à la gosse ainée d’une famille en vacances sur l’île de Ré. Elle exprime, en tant que titre, en quintessence la rébellion tacite de toute jeunesse qui s’appelle l’amour imaginaire. Sauf que de cet imaginaire on ne voit pas grand’ chose, car au-delà d’une nostalgie adolescente rien ne trouble la vie de Maden ou des siens. Je me demande cependant si la faiblesse du film est la caméra à la main qui suit frénétiquement les personnages sans que ceux-ci correspondent à cette excitation hasardeuse ou si c’est la platitude des sujets captés même.
L’objectif colle de préférence au dos de Maden, 17 ans, la fille qui entretient une relation épistolaire clandestine avec un prisonnier dont on ne saura pas davantage, sauf qu’il a 35 ans, qu’il est en prison depuis huit et qu’il se perd dans des idées tendres sur une fille mineure inconnue. Sinon, des dos, des cheveux, des épaules adolescentes. Si la caméra ne me les présente pas en grand plan, elle me fait courir derrière les personnages comme un chien, remuant queue, tête et le reste des membres ad nauséam. Ceci est déjà le comble de l’excitation que j’aie à affronter. La fréquence de pulsations cardiaques ne dépasse pas la limite de quatre-vingt (genre « chérie il n’y a plus de café »), des fois il y a des petites colères parentales, mais ils savent tout ce suite s’en remettre. Maden sort dans le jardin, Maden rentre dans la maison, Maden se balade dans la ruine de la citadelle au bord de la mer, Maden lit une lettre, Maden est morose, épaules, veuches, dos, le vent dans le micro. Ses cousins et cousines (on ne peut que deviner la parenté) l’entourent et l’ennuient, comme moi, par leur manque d’idées, enfin par leur propre ennui de vacances qui motive les deux cousines de fouiller dans la chambre de Maden, les lettres sont découvertes. Mais pas de drame, on en discutera plus tard.
le physique de Maden me fait penser à Pauline dans « Pauline à la plage », sauf que dans « Ma belle gosse » tout le monde est tellement coincé que rien de physique ni de psychique n’est osé sinon. À part le fait que la combinaison d’un scénario à la Rohmer et d’un régime d’images qui fait penser au « Dogma » soit loin d’être originale, ce film déchoit par rapport à ces prédécesseurs historiques quant à la maîtrise de la caméra et quant à la qualité du narratif. Ce qui fait penser à la Nouvelle Vague c’est en outre la renonciation à toute émotion trop forte et le refus de toute artificialité ainsi que de toute professionnalité apparente. La réalisatrice que veut-elle nous dire ? Est-ce une nouvelle insurrection contre le film hollywoodien ? On pourrait reconnaitre à ce film qu’il y a une certaine poésie des images, qu’il exprime un intérêt artistique, mais cet intérêt s’étouffe dans le mélodrame autosuffisant d’une morale bourgeoise qui essaie d’échapper à elle-même. La lutte, plutôt intérieure qu’extérieure, d’une fille mineure qui doit justifier son amour pour un hors la loi plus vieux qu’elle semble être imprégnée de cette réflexion. Au vu du fait que ni le côté artistique ni celui de la morale bourgeoise ne soient vraiment exploité dans le film, « Ma belle gosse » s’inscrit parfaitement dans l’histoire des idées absentes du film français, le fait qu’il ait eu le prix du film français au Festival Entrevue de Belfort 2012 officialise l’actualité de cette crise.