Voilà un film que je n’ai pas vu venir et qui, même après le phénomène de société qu’il a provoqué, m’a laissé encore craintif. Il faut dire que le chemin vers la réussite paraissait tout particulièrement semé d’embûches. Comment un film sur une famille de paysans sourds muets, mettant en vedette une actrice novice issue de "The Voice" (avec tout ce que cela suppose d’ambitions opportuniste de producteurs voulant également envahir le marché du disque) et réalisé, de surcroît par Eric Lartigau, plus habitué aux comédies de Kad&O qu’aux films subtils, pourrait-il être enthousiasmant ? Le spectre de l’humour lourdingue, contrebalancé par un pathos larmoyant semblait vraiment planer sur le projet. Et pourtant, le miracle a bien lieu ! Car, soyons clair, "La famille Bélier" est un véritable petit bijou à qui tout réussit. A tout seigneur tout honneur, c’est Eric Lartigau qu’il faut féliciter en premier lieu, tant sa mise en scène et son sens du récit font merveille. On sent bien que le bonhomme aime l’humour et il fait le choix ultra-payant de raconter son histoire par le biais comique, en refusant de s’apitoyer sur le handicap qui frappe 3 des 4 membres de cette famille. Lartigau s’autorise, ainsi, des scènes hilarantes qui échappent au piège de l’humour beauf (
même lors de la scène chez le gynéco ou lors des premières règles de Paula
) ou qui surprennent par l’angle adopté (l
es diatribes enflammées du prof de chant contre ses élèves
) et n’hésitent pas à montrer ses personnages (notamment les parents et le petit ami) sous un jour pas toujours très reluisants, ce qui renforcent la crédibilité de son propos. La manière dont il est parvenu à intégrer le langage des sourds-muets dans le récit est, également, un petit exploit puisque, loin d’alourdir l’ensemble, ce langage vient magnifier la relation des membres de cette famille qui a ses propres codes. Mais, et son plus grand coup de force, il ne néglige pas pour autant l’émotion et fait preuve d’une finesse et d’une justesse d’écriture assez inédite dans sa filmographie. Les personnages sont, à ce titre, merveilleusement bien écrits, y compris les seconds rôles plus modestes. Le père (François Damiens, magnifique) révèle, ainsi, sous ses airs balourds, une force intérieure et un jusqu’au-boutisme qui lui ont permis de ne jamais se considérer comme handicapé. La mère (Karin Viard très drôle) cache, sous son excentricité, un amour fusionnelle pour sa fille entendante. Le petit frère obsédé sexuel (Luca Gelberg qui est vraiment sourd-muet dans la vie) et la meilleure amie nymphomane (Roxane Duran) apportent une vraie touche d’humour qui rappelle que les aspirations d’un sourd-muet sont tout aussi basiques que celles d’un entendant. Quant au professeur de chant (superbe Eric Elmosnino), il est tout simplement extraordinaire dans son cynisme flamboyant. Mais, la meilleure surprise de cette galerie reste encore le personnage de Paula, seule entendante d’une famille de sourds-muets et qui doit assumer des charges qu’une enfant de son âge ne devrait même pas connaître… soit une description de rôle pas forcément folichonne mais qui passe parfaitement à l’écran grâce à l’écriture, pleine de bienveillance, du personnage et à son énergie. Et c’est peu dire qu’elle parvient à nous emporter avec elle dans son désir d’ailleurs que ses parents peinent à comprendre. La métaphore sur l’indépendance et le passage à l’âge adulte est évidente mais l’idée de faire passer ce message par la découverte d’un don pour le chant ne manque pas de charme. Et quelle incroyable découverte que cette Louane Emera, que j’avais vaguement entraperçu dans "The Voice" (où elle avait plutôt brillé) et qui fait montre ici d’un naturel extraordinaire. Son brin de voix achève de faire fondre les plus réticents qui auront bien du mal à retenir leur émotion lors
de la séquence finale, qui vous cueille sans crier gare
. La scène où
le père écoute sa fille chanter par apposition des mains sur sa poitrine
est un autre grand moment qui marquera les esprits. Enfin, histoire de parachever le bijou, "La famille Bélier" nous fait redécouvrir Michel Sardou "qui est à la variété française ce que Mozart est à la musique classique : intemporel"… et c’est peu dire qu’on ne s’y attendait pas forcément. La reprise de "Je Vole" est à ce titre, incroyable. Bref, je n’ai que des bonnes choses à dire sur ce petit monument d’humour et d’émotion qui a largement mérité son succès !!!