Pour broder son histoire d'amour impossible entre deux amants issues d'un milieu social différent, la réalisatrice Julie Lopes-Curval a puisé son inspiration dans deux romans d'apprentissage, "Martin Eden" de Jack London, et "Chez les Heureux du monde" d’Edith Wharton : "La manière dont les personnages se cognent au monde nous raconte si bien la rudesse d’une société et comment un monde frivole peut détruire les êtres. Mais moi, je voulais raconter la construction d’une jeune fille, et non sa destruction, sans occulter toute la cruauté à endurer pour accomplir cette transformation."
Julie Lopes-Curval, dont toute la famille est originaire de Bayeux, a posé sa caméra pendant 35 jours dans cette ville de la région Basse-Normandie et notamment dans le Bessin, à Grandcamp-Maisy et Arromanches, avant de rejoindre Paris. Dans Le Beau Monde, le personnage principal, Alice (Ana Girardot), est une Bayeusaine de 20 ans passionnée de tapisserie, reconnue comme la spécialité de la ville puisqu'une célèbre broderie de Bayeux inscrite au registre Mémoire du monde de l'Unesco, évoque la conquête de l'Angleterre par Guillaume le Conquérant.
Pour comprendre au mieux les particularités du travail de brodeuse, profession rêvée par le personnage d'Alice (Ana Girardot), étudiante en école d'art appliqués dans le film, la réalisatrice Julie Lopes-Curval s'est rendue à l''École supérieure des arts appliqués Duperré à Paris : "(...) j’ai découvert le travail en broderie d’une jeune femme qui avait pris pour sujet les jardins à la française et cela m’a fascinée. J’ai finalement passé beaucoup de temps dans l’école et longuement discuté avec le professeur de broderie. On a fini par constituer un petit atelier, les étudiants ont travaillé sur les créations d’Alice, celles qu’on voit dans le film."
Des vestiges de l'écharpe des records, une écharpe de 67,790 kilomètres confectionnée avec 203 370 pelotes de 50g par 6 500 participants, fait office de décor dans Le Beau Monde. Cette écharpe, créée par les tricoteuses solidaires de Fourmies (Nord-Pas-de-Calais), n'est pas le seul objet de laine à être à l'honneur dans le film puisque d'autres créations (des poupées en laine, des doudous, des animaux...) ont été conçues dans le cadre du défi "Tricot Solidaire" des tricoteuses de Fourmies dont le principe est de confectionner 10 000 créations avant le 31 décembre 2014 au profit d'oeuvres caritatives : "Cette location de créations pour les besoins de ce film est une nouvelle occasion de mettre à l’honneur Fourmies et ses tricoteuses solidaires. Avec ce genre d’expérience et de coups de projecteurs, la folie de la laine et du tricot n’est pas prête de s’arrêter à Fourmies !", a confié Paul Schuler, le coordinateur du challenge, sur son blog.
Julie proposa le rôle d’Alice à Ana, qui semblait convenir aux attentes de la réalisatrice : "Je l’avais vu dans Cloclo : elle avait un petit rôle qu’elle faisait exister d’une manière très forte. Avec Marion Touitou, la directrice de casting, nous avons rencontré de jeunes actrices, mais j’étais presque sûre que ce serait Ana à l’arrivée. Cela me paraissait presque un pari : il fallait trouver la dureté d’Alice dans la douceur d’Ana. Elle a amené une opacité au personnage que j’aime vraiment. Ana est concentrée, présente, docile, elle se laisse modeler. J’avais envie de la regarder. De fixer son visage pour arriver à l’intérieur d’elle-même. On la voit encaisser, on attend qu’elle se réveille… Son visage nous dit plein de choses sans mot, même si, peu à peu, la parole va se libérer."
La réalisatrice Julie Lopes Curval voulait faire un film sur les classes sociales dans lequel elle souhaitait "lier les milieux plutôt que les opposer, je voulais qu’ils se rencontrent, qu’il y ait un échange", explique-t-elle, en poursuivant : "Je voulais raconter comment deux personnes se construisent ensemble en se prenant des choses l’une à l’autre (…)".
On peut entendre la chanson de Françoise Hardy, Même sous la pluie, choisie pour sa ressemblance avec le personnage d’Alice. "Elle a donné le la. J’avais l’impression que c’était Alice qui la chantait, tant elle lui convenait. Quand j’ai montré le film au compositeur Sébastien Schuller, on avait monté la chanson au milieu du récit. Il m’a envoyé plusieurs thèmes pop et mélancoliques, je voulais qu’il y ait encore cette idée de boucle, quelque chose d’obsessionnel, et qui se transforme... et quand elle entre dans le château, quelque chose d’à la fois merveilleux et d’un peu factice. Mais les clochettes s’évaporent à mesure qu’Alice traverse les apparences…", explique Julie Lopes-Curval.
Le film a été présenté au Festival du Film de Cabourg, et en avant-première au Paris Cinéma l’année de sa sortie.