Le Beau Monde s’ouvre progressivement sur la découverte par Alice, jeune prolétaire de Bayeux, d’un monde riche, raffiné et hautement cultivé. En en poussant la porte, elle en jouira des bénéfices : grâce à de précieux conseils, elle sera acceptée dans son école de mode. Car Alice aime bien la mode, mais n’en connait aucun code. Elle tissera ensuite une relation amoureuse avec Antoine, partie intégrante -malgré lui- de ce « Beau Monde ».C’est autour de ce lien amoureux que s’articulera le film, véritable argumentaire sur les inégalités sociales et culturelles. Bastien, qui a bénéficié de l’environnement culturel le plus stimulant possible, est toujours vif, bourré d’idées, de passions, de références. Alice, qui regarde la télé avec son petit frère pendant que sa mère fait le repassage, est un peu molle, voire creuse. Elle avoue ne pas penser tout le temps, ne pas connaître grand-chose sur l’Art.Sur le malaise d’Alice face à sa sensation de mollesse intellectuelle, le film est brillant. Car cette inégalité économique, qui s’est transformée en inégalité intellectuelle, s’infiltrera dans l’intimité la plus profonde de cette relation amoureuse, mais aussi dans les chances de succès des études d’Alice : sans bagage culturel important, sans stimulation intellectuelle constante, celle-ci aura peu de chances de réussir. Et, si elle y parvient, ce sera au prix d’efforts considérables pour emprunter les codes (et le réseau) de ce « Beau Monde ».Quoiqu’un peu trop bavard par endroits, le film se dévoile toutefois avec une sobriété agréable, tant sur le plan de l’écriture que de la réalisation. Pour sensibiliser le spectateur à son argumentaire, il plonge en immersion profonde dans les mondes qu’il souhaite opposer.Mais, dans l’ère du temps, la réalisatrice Julie Lopes Curval s’est focalisée sur une dichotomie nette entre une famille populaire acculturée mais sympa, filmée avec un regard attristé, et une famille dysfonctionnelle de très grands bourgeois plutôt désagréables. En jouant sur une opposition aussi franche, le message initial du film, qui consiste à affirmer que le lien entre inégalités économiques et inégalités culturelles crée des mondes étanches et irréconciliables, est considérablement affaibli : la petite bourgeoisie culturelle qui apprécie le cinéma d’auteur s’identifiera plus volontiers à Alice qu’à Antoine, soudée face à ce grand méchant, le vrai riche, l’Autre, le 1% des « We are the 99% », source de tous nos problèmes. Pas vraiment révolutionnaire, le film reste, sur cet aspect, un peu démago.