Il est toujours difficile d’appréhender sereinement une œuvre de Larry Clark, avec ses constantes visions exacerbées d’une adolescence en perdition (dans le sens de la morale), ses relents fantasmatiques et malgré tout ses fulgurances d’esthète. Adulé ou conspué, Clark ne déroge jamais d’un iota (de Kids en 1995 en passant par « Ken Park » en 2002 et jusqu’à ce dernier opus) pour ce qui est de son envie de filmer, de montrer et d’appréhender un univers qui le fascine, l’adolescence, de manière presque morbide, une sorte de quête intellectualisée permanente de la fontaine de jouvence. Plus que jamais ressentie avec ce « The smell of us ». Il capte ou surprend des instants présents, pris sur le fait, et évoque le sentiment de liberté, l’intention (le vivre plus), la tentation, le passage à l’acte (no limit), la mort, qui trahissent sa propre peur de vieillir ou de mourir. Il cherche à refreiner le temps, tout en sachant que c’est impossible. Les corps se flétrissent, l’envie s’estompe, la raison défaille jusqu’à une fin de non recevoir. C’est derrière cet illusoire et fugace instant présent que courre Clark, où tout semble possible et sans fin, qu’il s’agisse de sensations, de jouissances, d’indépendance. Une prise de conscience de l’éphémère, qui distille un venin, celui d’un vécu à jamais perdu. Cette peur de l’inconnu (l’avenir) vient contraindre l’amour (plus aléatoire que la mort annoncée si effrayante) mais aussi la morale. Ainsi nous assistons à un paroxysme de comportements plus excessifs les uns que les autres (drogue, sexe, prostitution, alcool, déviances) entremêlés à des moments de grâce, de joie mais jamais d’espoir. « The smell of us » est un film sur la désespérance. Ce n’est par pour autant, ou pour être plus juste uniquement, une espèce d’auto psychothérapie, quelque peu onaniste, de Clark. Son film est une expression d’un monde en souffrance, où les adultes ne réussissent plus à véhiculer l’envie de vivre. Sa réflexion est autant philosophique qu’esthétique (certains plans ou cadrages sont uniques). La musique (comme toujours chez Clark) est prédominante et puissante, elle ajoute à la surexcitation ambiante, à la limite du tenable parfois. Larry Clark signe ici une espèce de film testament, reprenant quelques thèmes dominant de sa carrière, l’insouciance de la jeunesse, l’équivoque, l’ineffable, l’innocence, la précarité de l’existence, la mort… Il se choisit un clone, avec un acteur qui, comme lui, mais beaucoup plus jeune, filme le quotidien de cette bande, sorte de passage de relai, un témoin de ce vécu qui ne peut être annihilé ni par la mort, ni par le désespoir.