affiche-Film-La-traversee1 Parmi les films qui sont sortis mercredi en salle, j'ai tenu la même semaine à porter un coup de projecteur sur un film très grand public, à qui j'espère une grand carrière (Les gamins) et, en même temps, et à l'exact opposé, sur un film qui est sorti dans la plus petite confidentialité et qui aura à coup sur une carrière éclair sur nos écrans, alors même qu'il peut toucher pas mal de gens, à la fois par le sujet et la façon dont il est abordé.
Ce film, c'est un documentaire d'une heure et douze minutes qui s'appelle la Traversée. Il est l'oeuvre d'Elisabeth Leurey, une documentariste qui sort à cet effet son tout premier film en salles.
Ce film, j'ai eu la chance de le voir avant qu'il sorte en salles, grace à une agence de communication qui m'a envoyé la version DVD du film, et j'ai vu le film en voyage, non pas en bateau, mais en train ( celui qui menait de Nice à Lyon) et, du coup je me suis bien mis dans l'ambiance de ce film qui est également le récit d'un voyage, mais nettement moins anodin que le mien.
En effet, dans cette traversée, la cinéaste Elisabeth Leurey a embarqué sur un ferry qui relie Marseille à Alger. En effet, comme chacun le sait, chaque année charrie son nombre de personnes qui transitent entre Marseille et Alger par le ferry. Il y a ceux qui retournent au pays, au « bled » comme ils disent, pour les vacances, ceux qui rendent visite à la famille, mais également quelques clandestins sans papier renvoyés en Algérie.
Ce sujet ne peut que m'interpeller personnellement, car je suis fils et petits fils de pied noir, que ma mère a quitté l'Algérie lorsqu'elle avait a une dizaine d'années, et que j'ai beaucoup entendu parler de ce pays dans mes repas de famille, donc forcément tout ce qui a trait à ce pays m'interesse, et ce film est une des oeuvres les plus marquantes que j'ai pu voir sur ce pays.
Durant la traversée, les passagers filmés se prêtent au jeu et racontent leur histoire. Le bateau navigue pendant 24 heures et pour passer le temps, les langues se délient.
Comme elle l'explique dans le dossier de presse délivré avec le DVD, le sujet a particulièrement interpellé la réalisatrice qui est ( comme ma mère donc) née en Algérie, et qui y est retournée quelques années avant de tourner ce film, afin de travailler la question de la mémoire et de l'identité. Et rapidement, le sentiment qu'elle a ressenti, et qu'elle n'a cessé de retrouver dans les discussions des passagers du ferry interrogés est ce tiraillement que chacun éprouve, provoqué par l'entre-deux: entre deux pays, deux appartenances, deux religions.
Le va-et-vient de ces Français d'origine Algérienne ou de ces Algériens partagés entre ces deux pays donne inconstestablement lieu à des problèmes de déracinement et des interrogations profondes sur la place que chacun habite, et ce film arrive à nous le démontrer sans manichéisme ni lourdeur.
C’est toute une population disparate et hétéroclite qui peuple ce grand bateau où durant les 24 heures que durent le trajet il faut s’occuper alors les langues se délient et on se raconte pourquoi on va là-bas ou pourquoi on y retourne.
Elisabeth Leuvrey a effectué pas moins de 20 traversées pour nous offrir ce documentaire sur cet entre-deux, sur la mer apatride, où l’on n’est plus en France, ni encore tout à fait en Algérie, et où cette situation un peu flottante permet à ces passagers de possèder le recul nécessaire sur leurs situation de déraciné, en regardant à la proue s’approcher les côtes d’Alger et la poupe s’éloigner celles de Marseille.
Filmé au rythme du voyage, parfois sans doute un peu trop lentement, mais toujours avec une belle attention et une belle humanité, ce documentaire laisse une part égale à la beauté du voyage et de cette mer toujours aussi mystérieuse, et aux propos échangés.
Certes, cette traversée est parfois inégale, certains témoignages (notamment celui d'un certain Ben, au propos riche et formidablement imagé) étant nettement plus interessants que d'autres, qui sont malheureusement simplement esquissés, mais, en l'état, le film fait partie de ces oeuvres intelligente et reflexive permettant de mieux nous aider à comprendre le monde dans lequel on vit, et en cela, il est hautement recommandable, si jamais il joue dans une des salles de votre région, ce qui n'est évidemment pas gagné, vu le peu de copies dont il bénéficie.