Les scénaristes et les réalisateurs s'ingénient assez souvent, dans les films, à l'art de la simplification: simplifier les intrigues et les personnages, les rendre un peu plus lisses que ceux qu'on rencontre dans la vie réelle permet de ne pas trop désorienter les spectateurs. Ici, rien de tel. Que ce soit dans l'intrigue, que ce soit, surtout, dans la description des personnages, Nadir Moknèche ne craint pas la complexité. Et pourtant, passées les premières scènes, tout se met en place et, même s'il demeure beaucoup de zones d'ombre, on se passionne pour ce thriller sans concession qui fait appréhender un Maroc gangrené par la corruption, la violence et le déni de la réalité.
Toute l'intrigue, précisément, tourne autour de Dounia (Lubna Azabal), une marocaine divorcée qui vit à présent avec un serbo-croate, ce qui apparaît aux yeux de ses compatriotes comme un scandale. Lorsque, dans le chantier où travaille ce dernier, on découvre un site paléochrétien comprenant des catacombes et la fresque d'une orante, Dounia tisse tout un projet lucratif qui lui permettra, après avoir récupéré l'enfant qu'elle a eu de son mari, de le mettre à l'abri hors du Maroc.
Mais autour de Dounia gravitent des personnages qui enrayeront cette mécanique si bien conçue. Il y a, sur le chantier, des travailleurs clandestins, dont l'un d'eux, un nigérian, aura la mauvaise idée de vouloir ramener de nuit un crâne qu'il avait dérobé... Il y a la relation homosexuelle que celui-ci entretient avec un projectionniste de cinéma... Il y a surtout Ali, le chauffeur de Dounia, qui se meurt d'amour et de désir pour elle... Que de tensions, que de passions contradictoires dans tous ces êtres! Amour et haine, respect et mépris, violence et paix: tout s'entremêle dans les coeurs et dans les esprits. Et, bien sûr, il y aura d'inévitables drames...
Ce film, sûrement, fait partie de ceux qui se bonifient au fil du temps, comme les films noirs de l'Hollywood des années 30 ou 40, les films avec Humphrey Bogart, par exemple, qu'on peut voir et revoir sans se lasser... On pourra également visionner plusieurs fois "Goodbye Morocco" sans l'épuiser: il y a trop de richesses dans le scénario et dans les personnages pour se fatiguer d'eux!