Dans le paysage cinématographique environnant, il est, à côté des produits plus ou moins formatés, comédies au scénario pré-mâché, blockbusters attendus et autres films à oscars construits autour d’une star adulée, il est, dis-je, des ovnis venus soudainement comme de nulle part, et qu’on aurait du mal à étiqueter ou à classer convenablement. La Bande des Jotas, troisième long-métrage de la dessinatrice iranienne Marjane Satrapi après le succès de Persepolis (2007) et le plus critiqué Poulet aux Prunes (2011), fait partie de ceux-là.
Tourné avec un budget risible et se présentant comme un “film de potes”, La Bande des Jotas est composé de petites saynètes au service supposé d’une trame légère et dont on se doute aisément qu’elle ne constitue qu’un prétexte un peu faiblard. On le voit d’ailleurs dans la façon même qu’a Satrapi de raconter la genèse du projet : “Et c’est tombé à un moment où nous voulions partir en Espagne en vacances. Or, moi en vacances, je m’ennuie. Alors je ne voulais partir que trois jours et les autres huit. Je leur ai proposé un marché : on part dix jours mais on fait quelque chose, sinon je vais vite m’ennuyer. Une fois qu’on a eu l’idée de faire un film, on est parti sur le principe de ne pas écrire de scénario, d’improviser et voilà le résultat”. Le synopsis en effet tient sur un post-it, jugez un peu : une femme qui refuse de dire d’où elle vient rencontre deux hommes et les convainc de l’aider à se venger des mafieux qui auraient tué sa soeur – des Espagnols dont les prénoms commencent tous par un “j” (Juan, José, Jesus …). Ajoutez à cela un concours de badminton, un échange de valises, des plans interminables sur des autoroutes et une chute finale, et vous parviendrez sans difficulté à avoir une idée dudit “scénario” dans sa quasi-intégralité.
Que se passe-t-il donc dans un film dépourvu de scénario et de répliques soigneusement écrites au préalable ? Eh bien, on bavarde, on laisse durer les plans, on égrène des gags un peu gratuits. Il semble d’ailleurs que Satrapi ait eu un peu de mal à rentrer dans la case du long-métrage, tant celui-ci parvient difficilement au score d’ 1H14. Reste un objet intriguant, attachant dans ses défauts et son invraisemblance même, peut-être un peu trop injustement massacré par une critique impitoyable. La façon dont Satrapi réinvestit les codes du film de genre – western spaghetti ou film noir – reste, certes à une échelle beaucoup plus petite qu’un Tarantino, plutôt réjouissante. Si le scénario laisse à désirer, Satrapi a cependant quelques idées de mises en scène : corps d’un des mafieux qui chute du haut d’un hôtel filmé en amusant plan d’ensemble, contre-plongée sur un échange de badminton pendant un dialogue, cadrages de profil sur le personnage féminin en train de téléphoner… Dans ce film manifestement réalisé à la va-vite, la forme semble néanmoins avoir fait l’objet d’une certaine attention. Relevons également une musique inspirée, pleine de fantaisie et d’énergie.
Même dans ce format court, avec un budget très modeste et sans stars (sans les Catherine Deneuve, Jamel Debbouze ou Mathieu Amalric associés à ses deux précédents films), Marjane Satrapi arrive tout de même à transmettre quelque chose de son univers et de ses préoccupations d’artiste. Le refus du personnage féminin de révéler son origine à l’un de ses acolytes, qui lui pose à ce propos des questions insistantes peut sembler un détail, mais nous renvoie finalement à la délicate et profonde question de l’identité, qui ne cesse de hanter les BD et les films de Marjane Satrapi. Souhaitons-lui cependant qu’elle revienne rapidement avec un film moins brouillon et anecdotique que cette, certes sympathique mais largement dispensable, Bande des Jotas.