Dessine-moi la politique, père Castor... Fallait-il croire la belle bande de chérubins des Poppys ? « Non, non, rien a changé » chantaient-ils avec le même entrain qu’une révolution en juillet. Quelques frappes dans les (lende)mains, et la flamme socialiste avait repris de ses couleurs, rosâtres et vigoureuses. Le changement devait avoir lieu, et même maintenant qu’ils disaient. Seulement, l’espoir avait vidé ses bourses dans une femme de ménage. Curieuse histoire d’une politique de l’intérieur. Pourtant, les Poppys étaient toujours là pour nous ramener à la raison : oui, oui, rien n’a changé.
Car la France va Mal, et avec elle, tout un pays doute, et se déchire. Constat que Doutes semble s’approprier, avec la finesse d’un édito en Express et la lourdeur intestinale d’un verre de Lait Bio. Il faut dire que les convictions politiques, passées à la moulinette du verbe et de son expression, n’en deviennent qu’un ramassis de maladresses nanardesques. Yamini Lila Kumar rate à peu près tout dans sa chronique aussi artificielle qu’un prétendu rassemblement national. De paroles luxuriantes en hilarité involontaire, Doutes semblerait presque être sorti d’un texte de Oldelaf, le politique en plus, la musicalité en moins. Parce que Doutes, « c’est toi, c'est moi, c'est nous, c'est quoi, c'est un peu de détresse dans le creux de nos voix. »
Un Navet ? Certainement. Puisque sa réputation légumineuse n’est plus à faire. Rappelons-nous : une sortie confidentielle en 2013, aucune distribution hors Paris, aucune édition DVD, autant dire que tout le monde avait des Doutes quant à la qualité de cette grande comédie humaine. Introuvable, le mot était sur toutes les lèvres. C’était sans compter sur une réapparition Internet (clique sur le lien, si ta curiosité accepte ce chef d'oeuvre) cet été, dans une version internationale, pour une propagation amplifiée du virus communément appelé « éloge du bobo parigot : analyse de l’hématome politique français des années Sarkozy ». Une bonne grosse thèse, bien mastoc en apparences, mais emplie de pages aussi blanches que vides de sens.
Doutes est une œuvre sidérante de verbosité. À voix haute, les pensées se lancent à soi-même, et les interlocuteurs n’existent qu’à travers des bulles qui s’entrechoquent parfois pour le (dé)plaisir de la rhétorique. Personne ne s’écoute, pas même le spectateur, perdu entre punchlines qui font plouf et nombrilisme grotesque. Une dialectique de contradictions ? Une belle grosse somme d’égocentrismes dans un environnement aussi étouffant qu’effrayant plutôt. Comme pour y retranscrire une sorte d’intimité politique. Mais pour quoi ? Pour une métaphore des relations et opinions qui nous déchirent dans la société moderne. Pour une analyse décalée et faussement artificielle du phénomène de désintérêt politique, de ce tournant absurde d'une France qui doute, et se rebelle pour des idées. L’intérêt serait donc ici de faire des drames de l'actuel dans l'intime. Confusion, quand tu nous tiens. Yamini Lila Kumar, ambidextre qu’elle est, n’arrive pourtant pas à différencier sa droite de sa gauche. Ou plutôt, son surplus de communication estampillée Parti Socialiste implose en des doutes d’orientation politique.
Les incohérences et autres invraisemblances s’accumulent au fur et à mesure que les amitiés se déchirent. Pour des raisons aussi absurdes que surréalistes : opinions contradictoires, mensonges d’adultère socialiste, suicide pour un fan de DSK, etc. Yamini Lila Kumar n’a aucune limite dans la lourdeur grandiloquente. Ses monologues s’étalent, et embrouillent la fiction d’un excès d’écriture. Tout est prétexte à un concours de celui qui a le plus gros intellect : les références fusent, de Nanni Moretti (et son Palombella Rossa), aux rues chargées d’Histoire de Venise (finir sur un carnet de voyage aussi pompeux qu’inapproprié, chapeau). On discute objectivité, neutralité et presse politique. Verbiage, je crie ton nom. On rêve de Mitterrand, d’écharpes rouges, de 68, d’Albertine disparue, de jeux de chat, de forces de l'esprit. Il en faut pour se concentrer dans ce ramassis de vacuité : parler, sans agir, si ce n’est pour faire la cuisine.
Benjamin lui aime sa mamie, mais pas les rideaux. Il a un futal comme Fabius, et a beau être marxiste, léniniste, socialiste ou « couilloniste », il reste cet ami sympa, ce Benjamin. Et il faut le voir déclamer ses pensées dans le désintérêt le plus total : impressionnant jeu d’acteur, à en faire pâlir Stéphane Plaza. Sans parler des relations ambiguës entre Biolay et Barbier. Symboles maladroits d’une France qui en a marre, de ce clivage et de ses éternels conflits internes. La droite s’acoquine avec la gauche. Ou avec DSK, c'est plus probable. Tous les mêmes, dira-t-on (complotisme, me voilà). Au fond, ce n’est que l’histoire de personnes dont la vie s’échappe, et cherchent de l'intérêt dans les relations du pouvoir, comme pour faire face à une certaine frustration.
Comme une revisite inavouée du Charme Discret de la bourgeoisie, sans l'absurde, ni le propos ni l'humour. Détestable au possible, tant sa mécanique « bobo » naturelle semble volontaire. Et contrairement à l’œuvre de Buñuel, Doutes s’embourbe dans sa rhétorique bourgeoise, et n’a pas le second degré nécessaire pour esquiver sa gaucherie. Pénétrant l’hymen politique comme la campagne d’un candidat au néant, le film de Yamini Lila Kumar cabotine, et saborde son propre programme avec ses flottements et son artificielle éloquence. Et pourtant, il demeure une fascination inexplicable pour ces paroles en l'air, planant dans le vide « jupitérien », et une nation absorbée par le « bla-bla » de ses politicards.
Formellement, Doutes tente une approche réaliste, caméra à l’épaule, flous assumés, mouvements hasardeux, et fragilité dans les mises en scène. Une réalisation semblable à l’épure du dogme 95, du Von Trier aseptisé, là où ses Idiots seraient involontairement de vrais imbéciles : une sorte de longue Pub EDF en somme, sans Judor, mais beaucoup de crétins en tort. A en croire la scène psychanalytique à la Woody Allen (sans l'humour, la phrase qui tue ou l'intérêt cinématographique, bien sûr), le diagnostic est incontestable : une belle bande de schizophrènes s’excitant sur leur propre verve.
Alors, oui, la France va mal. Et Doutes y est peut-être pour quelque chose. Yamini Lila Kumar questionne ce voyeurisme moderne, ces paradigmes qui sans cesse changent, ces débats que l'on se fait à soi-même, à travers le prisme de ces « ultra » électeurs, ces personnes figées dans une seule et inébranlable opinion politique. Tout cela pour mener à l’aliénation, à l’excès, et dépeindre cette France perdue, cette France qui s’abstient. Une réflexion qui aurait pu être intéressante si seulement elle avait été visible. Car dans Doutes, tout n’est que bavardages et dissimulations. Pour un microcosme, un public cible : personne. Anti-populaire, comme un Tuche 3 du cinéma bobo : une grande comédie humaine, déshumanisée et cynique, où la gêne se politise. Oui, il y a beaucoup de choses dans Doutes. Et principalement rien. Fumer tue, Doutes aussi, et en plus rapide.
Intégralité de ces Doutes, en chansons et en divagations, disponible sur mon blog : FADE OFF