Grand poète du cinéma soviétique, Khudojnazarov est une star dans son Tadjikistan actuel. Financé par les plus grands logos – Arte, Eurimages –, il affiche ”Tajikfilm” en tout petit à la fin de son générique, pourtant il voit grand.
La Mer d’Aral n’est jamais nommée dans cette histoire plus dramatiquement réaliste que Luna Papa où les pêcheurs vont se trouver privés de tout par l’eau qui se retire. Les responsables ? On ne les connaît pas, ou du moins on ne les nomme pas, & on place sa foi & toutes ses croyances dans la mer, tous priant pour qu’elle revienne sans se lamenter trop fort qu’elle soit partie à moins d’être au plus mal – le tout dans une culture épurée qui est assénée trop vite pour savoir où se situer entre vérité & cinéma ; il fallait en venir au fait, on le sent.
Pendant les cinq ans que Marat passe loin de son village, la mer a eu tout le temps de s’éloigner. Pour la retrouver, il n’a d’autre choix que de devenir le Fitzcarraldo du Grand Est en tirant son bateau à travers un désert où se rencontrent plusieurs cultures négligées en un de ces points géographiquement œcuméniques qu’on préfère ignorer parce que wow, un paysage si sec, c’est quand même déprimant. Chevaux, chameaux, camions & speedsails se côtoient comme s’il fallait juste aller très loin pour que tout se rencontre.
Le côté traditionnel, déjà mâchouillé en intro, est sans doute le plus grand tort de l’œuvre, alors qu’elle aurait pu en faire un atout. Comme il est réaliste par l’image & rêveur dans le reste, le film ne sait pas construire d’ambiances & le scénario avance avec une abnégation neutre qui est monotone & guère porteuse, reflet trop fidèle de l’interprétation de Egor Beroïev qui est à fond dans son truc.
Se basant sur une histoire vraie qu’il ne cite jamais, Khudojnazarov s’accapare l’opportunité très exceptionnelle & tristement poétique de la mort d’une mer entière pour faire bouillonner les superstitions avec un drame relativement ancré dans le réel qui n’avance tout de même que grâce aux plus fous. Il crée ainsi une légende des temps modernes à partir d’une vérité qui est à la fois trop loin de notre monde & trop dramatisée pour, justement, émaner naturellement le drame moins terre-à-terre qui peut alimenter l’art de la plus belle façon & que le réalisateur a su capter entière jusqu’à une conclusion qui ne laisse pas sur sa fin.
On a bien fait d’envoyer tout ce qu’on pouvait depuis l’Europe pour que Khudojnazarov puisse parler d’Aral, car sans compter qu’il l’a bien fait, on ne pourra sans doute plus jamais le refaire.
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