Film important -et passionnant. Même si, comme on le verra à la fin, il peut donner lieu à des interprétations dérangeantes. Mais si le cinéma ne dérange pas, il sert à quoi?
Dire, tout d'abord, que le film permet de mettre, enfin, en lumière ce formidable acteur qu'est Olivier Rabourdin, jusqu'à présent abonné aux seconds rôles, où il était excellent, mais bon, ce n'étaient que des seconds rôles. Physique atypique qui lui permet d'être aussi bien ange -ou gendre idéal- que démon, de ceux qui se cachent derrière une surface lisse. Ici, il est de tous les plans -et il n'a pas peur de casser son image!
Pièce en un prologue et trois actes. Le prologue, c'est le ballet, gare du Nord, d'une bande de jeunes venus de l'Est, en quête de fauche. Filmé de loin, de haut, filmé d'une manière extraordinairement intéressante. Et il y a Daniel, Rabourdin donc, qui mate. Séduit par le minois de chat de Marek (Kirill Emelyanov) qu'il suit, qu'il invite chez lui.
Daniel est, apparemment, un jeune cadre prospère. Il habite un appartement porte de Montreuil, tout ce qu'il y a de plus chic, tout ce qu'il y a de plus design, avec art contemporain aux murs et salle de muscu. Quant on sonne, c'est un marmot qui se présente (on le retrouvera plus loin, une vraie petite teigne). C'est lui, Marek! et il est mineur, il n'a que quatorze ans, ce qu'a fait le monsieur en l'invitant, c'est très vilain. Et toute la bande rapplique, derrière son chef, le russe que l'on appelle Boss: Danil Vorobyev, qui a (en plus dangereux) l'insolence provocatrice et rigolarde qu'avait, autrefois, Patrick Dewaere. Il y a même une fille. Ils vont, tranquillement, méthodiquement, vider le bel appart de Daniel de tout ce qu'il contient de négociable, tout en dansant sur fond de rock et en vidant les bouteilles d'alcools forts; scène formidable et angoissante.
Pourquoi si peu de réaction de la part de Daniel? Après tout, il n'avait rien commis de répréhensible; rien qui l'empêche de porter plainte contre cette bande si facile à retrouver. Cela fait partie du mystère d'un personnage qui restera mystérieux à bien des égards. Le fait est que Marek, qui s'appelle de fait Rousslan, reviendra cogner à la porte de Daniel.
Le deuxième acte, c'est le déroulement de leur liaison. Au début, Rousslan vient une fois par semaine. Jamais le dimanche: le dimanche, on ne travaille pas. Puis deux. Puis, reste parfois la nuit. Et l'on assiste à la lente évolution de cette liaison: petit à petit, le jeune sauvage s'attache à celui en qui il ne voyait d'abord qu'un client et un pourvoyeur de cadeaux; petit à petit, Daniel cesse de voir en Rousslan juste une relation tarifée, et à 50€ la passe on aurait bien tort de s'en priver! pour le considérer comme un être humain qu'il a envie de protéger, on n'oserait dire un fils mais, peut-être, un petit frère.
Le dernier acte, c'est une sorte de thriller, la lutte engagée par Daniel porte sortir le petit Ukrainien passé par la Tchetchénie, où il a perdu ses parents, du cadre de soumission et de terreur que fait régner Boss. C'est lui qui cache les passeports; c'est lui qui décrète la loi du clan. Et il peut se comporter comme une véritable brute.
Oui, le film de Robin Campillo est de bout en bout passionnant. Par la pluralité des points de vue par lesquels il regarde cette histoire. Des moments de grande virtuosité filmique. Des moments retenus. Une histoire d'amour. Un documentaire.
Il est singulier que deux des films français importants de ces derniers mois (l'autre étant L'Inconnu du lac) traitent de l'homosexualité par sa face noire . On n'est pas chez les bisounours, le couple du zentil monsieur-papa et du zentil monsieur-maman mis en exergue par les défenseurs du mariage pour tous (et qui est aussi une réalité, heureusement!); on est face au sexe furtif, clandestin, violent.
Pourquoi ais je parlé d'interprétation dérangeante? Ma foi, l'aspect sociologique du film apporterait plutôt de l'eau au moulin du FN.... Car la petite mafia est logée, au frais de la princesse -la princesse étant la Préfecture en l'occurrence- dans un hôtel genre Formule1 de la grande banlieue Nord. Ils occupent un étage, où le personnel de l'hôtel ne vient pas. Ils en sont les rois, font régner leur ordre, insolents voire violents vis à vis de ce personnel s'il s'avise de se mêler de ce qui s'y passe. Se dire qu'on entretient des gangs venus de l'Est (ou d'ailleurs) parce que, cachant leur nationalité ils sont inexpulsables, quand tant de travailleurs honnêtes sont à la rue, c'est une réalité qui dérange, non?