Comment juger ou parler d'un film que l'on a trouvé aux trois premiers quarts génial mais dont la fin laisse quelque peu dubitatif, ainsi que le titre (qui sonne comme un site porno gay, or rien à voir, pourtant) ? Tout d'abord, ne pas bouder son plaisir : le sujet (qui mêle homosexualité, prostitution, délinquance et bande de réfugiés en situation indéfinie) recelait tous les ingrédients du plantage en beauté, et à la vérité le film s'en tire mieux que bien dès les premiers plans, les premiers dialogues et l'exposition de l'intrigue : c'est techniquement impeccable et même inspiré (les cadrages, la lumière, les décors), c'est formidablement interprété (avec justesse et subtilité), c'est original et surprenant, convainquant, bref : chapeau !
Mais attention, ce film fait le pari de l'intelligence du spectateur et ne cherche ni à mettre les points sur les "i" côté intrigue, ni à nous dicter les émotions à ressentir. L'essentiel est là, mais les blancs sont nombreux, et chacun, avec sa sensibilité, comprendra à sa façon les désirs et les motivations des deux protagonistes, ainsi que la nature du lien qui finit par les unir. On n'est pas perdu, le film n'est pas incohérent du tout, mais il faut s'y investir, avoir de l'empathie ou non pour les personnages de Daniel et de Marek/Rouslan. De fait, comment ne pas les aimer, ces deux personnages, tant ils sont charismatiques et attachants, dans deux registres complètement opposés : la cinquantaine fatiguée mais bienveillante d'un côté, la jeunesse écorchée mais fière et joyeuse de l'autre. Je précise que tous les petits rôles secondaires sont excellents aussi.
Bref, une grande, GRANDE envie de mettre un 5/5 ou un 4.5/5 pour cette première critique sur allociné, mais la quatrième partie du film (l'hôtel) est franchement moins bonne (sans être ratée non plus, hein), c'est-à-dire beaucoup moins crédible dans le détail de l'enchaînement précis des péripéties, même si l'ensemble de la scène ne dénature pas le film. Ce qui pourrait n'être que défaut véniel dans un film moyen se remarque davantage lorsque tout ce qui a précédé est proprement formidable. Disons que la fin fait plus téléfilm français quelconque que grand film de cinéma, ce que cette oeuvre aurait pu être de bout en bout. La conclusion est ouverte et n'impose aucune clé d'interprétation, ce qui n'est pas plus mal.
En conclusion, que ce bémol nécessaire ne vous dissuade pas de voir ce film épatant et rare, je trouve, dans la production française. Rien que pour Kirill Emelyanov, qui a un charme renversant, on ne peut pas ne pas tenter l'aventure. N'ayez pas peur du rythme de l'intrigue, ni de la confiance que le film vous fait pour comprendre par vous-même, "de l'intérieur", les deux protagonistes, c'est captivant et au fond hyper gratifiant.