En ce début d’année 2016, le diocèse de Lyon est de nouveau propulsé à la une des journaux, avec une nouvelle affaire de pédophilie remontant déjà à assez loin. Si ce nouveau scandale est apparu, on le doit peut-être à l’encouragement fait indirectement par la sortie dans les salles de "Spotlight", récemment oscarisé en tant que meilleur film. Et c’est sans doute l’émergence de ce nouveau scandale lyonnais qui a poussé France Télévision à rediffuser "Le silence des églises" suivi d’un débat, incitant ainsi les victimes à ne pas rester dans le silence, emmurées dans les tourments de la honte. Et c’est ce dont "Le silence des églises" montre : les dégâts psychologiques et sociaux provoqués, accentués par le peu de considération des supérieurs cléricaux. Il faut dire que ça fait tâche sur les tenues immaculées des religieux… France 2 lance donc de nouveau le pavé dans la mare le 13 avril 2016 avec ce téléfilm qui présente un tout autre point de vue que "Spotlight". Si ce dernier se place du point de vue des journalistes d’investigation, agrémenté toutefois de quelques témoignages poignants, "Le silence des églises" se montre complémentaire (façon de parler, hein) en apportant le point de vue de Gabriel Goffin, l’une des victimes, et de Père André Vincey, l’auteur des faits. La réalisation d’Edwin Baily est tout en sobriété, jamais lourde malgré le point d’orgue mis d’une part sur les conséquences psychologiques et sociales en la personne de Gabriel, et sur les abjections commises par le Père Vincey d’autre part, sans toutefois en dresser un portrait qui consisterait à en faire le seul et unique monstre. En effet, sont pointées du doigt également la confiance aveugle des parents, l’hypocrisie et la déconsidération de la hiérarchie ecclésiastique, et c’est aussi là que le propos va stupéfier le spectateur pour mieux l’interpeller et le pousser à rompre le silence. Robinson Stévenin, à travers les traits de Gabriel, interprète à merveille les sentiments de honte, mais aussi de haine envers celui qui a ruiné son équilibre psychique et donc l’accomplissement de soi dans son existence. Au bord de la fracture sociale, le simple fait d’entendre parler de l’endroit où a eu lieu son drame ainsi que celui de certains de ses camarades de classe, va le pousser à laisser parler sa vengeance, sans trop savoir quel chemin emprunter, au gré des souvenirs qui lui remontent en pleine figure. Cela passe évidemment par des flashbacks, toujours utilisés à bon escient pour justifier ses actes. La grande qualité du montage permet aussi de développer efficacement la psychologie du Père Vincey, interprété par Robin Renucci, excellent dans ce rôle. Malgré tout, l’ambiance générale est assez lourde. Sans doute est-ce voulu afin de mettre le spectateur mal à l’aise devant des faits qui existent depuis trop longtemps, et qui sont tus depuis trop longtemps aussi. Robin Renucci fait preuve d’un charisme incroyable, pour incarner un prêtre qui n’inspire au premier abord qu’une confiance absolue alors que c’est un redoutable prédateur agissant exclusivement sur la pression et la manipulation psychologiques. Sur une musique à la mesure du sujet, c’est-à-dire discrète, il en ressort un téléfilm rude, ambitieux et utile, traitant d’un sujet sensible parce que tabou, tabou parce que ça touche de près l’institution qu’est l’église, une institution dont les hommes les plus éminents cultivent l’opacité à grande échelle afin de privilégier ses brebis au détriment des victimes, et ainsi protéger la vision idyllique (et donc irréprochable) de leur organisme. Ce n’est pas la religion en elle-même qui est remise en cause (nous avons aussi des cas de pédophilie dans les colonies de vacances, dans les compagnies de scouts, et au sein même de l’éducation nationale), mais bel et bien le comportement d’hommes et la politique de l'autruche. On pourra cependant regretter un certain manque de rythme, provoqué par les tergiversations de Gabriel entre la solution radicale à ses problèmes, et un règlement dont il en ignore la nature. Malgré ce désir irrépressible d’aller jusqu’au bout du bout de sa quête, quelques longueurs se font sentir ici et là. Rien de bien grave, même si j’aurai imaginé une confrontation entre la victime et le bourreau bien plus houleuse qu’elle ne l’est, et qui aurait dû être le moment le plus intense émotionnellement parlant.