Je devais certainement trop attendre de ce film. Je n’y ai pas vu la moitié de ce qui se célèbre alentour. Bien sûr, l’image est très belle, exceptionnellement belle, le petit garçon est magnifique, son regard vous attrape et ne vous lâche plus. Mais je sens l’application sur tous les plans ou presque, un formalisme rigide et orgueilleux dont j’ai fini, malgré moi, par compter les stigmates. Quand l’enfant s’arrête au bord d’une ornière où patauge un groupe de fantassins, la réalisatrice prend bien soin de faire jouer sur son visage les reflets mouvants du soleil, comme le veut la vision académique d’un bord de l’eau. Quand l’enfant remonte derrière les partisans l’interminable couloir de l’hôpital où on a emmené sa mère, et se presse pour sortir, on pressent qu’il va perdre sa chapka. Et ça ne manque pas d’arriver. On devine aussi qu’il va revenir la chercher. Bingo. Aucun mérite, pourtant : le plan affichait déjà toutes ses intentions. Le film est comme ça, à la fois maniéré et scolaire. L’évocation du cinéma de Tarkoski, de la Russie éternelle, ni change rien. Le noir et blanc vintage ne suffit pas à faire un style. Pourtant, lorsque Eva Neymann filme à hauteur d’enfant, lorsqu’elle se met vraiment dans le regard du gosse, enregistrant les silhouettes qui croisent son chemin, les visions parfois incongrues qui tirent son regard, le film dégage une poésie touchante. Mais la réalisatrice ne tient pas ce point de vue, préférant, dans le train notamment, accumuler les vignettes expressionnistes d’une humanité en déroute. Et Dieu, que la misère est pittoresque ! Un allocinéen vante ici la délicate prise de son. S’il y a un truc qui m’a paru absolument pas délicat, c’est justement le son. Un machin en deux couches, d’un côté un son direct qui ne l’est pas, un revival mou des grandes années de la post-synchro soviétique, et de l’autre des ambiances stéréo travaillées pour le standard Dolby. Pour moi, la seule délicatesse de cette bande son c’est la musique d’Eric Satie. L’émotion, en fait, je ne l’ai ressentie que deux fois. Une première fois, qui excède le cadre du film, en découvrant dans son dernier rôle, celui de la mère mourante, l’incandescente égérie de Carax et Bartas, Katerina Golubeva, disparue depuis. L’autre, avec le plan de fin qui m’a proprement cloué le cœur. Et me voilà dehors dans ce mood insensé : à la fois profondément déçue et habitée pour longtemps par la grâce d’un sourire.