Dans la cour est fait de quelques scènes amusantes, notamment celle où Mathilde (Catherine D) visite la maison de son enfance avec Antoine, le concierge de son immeuble (Gustave de Kervern), constatant avec stupeur que le chêne tricentenaire du jardin a été coupé et que les nouveaux propriétaires ont transformé l'atelier de son père en grange de style suédois. Etonnante scène où l'on comprend, peut-être pour la première fois, que Catherine Deneuve n'a plus grand chose à faire dans le cinéma français d'aujourd'hui, si ce n'est déambuler dans le passé. Elle s'en va, disait le titre de son précédent film. Et celui-ci de poursuivre la dérive: "Vous êtes loin, Mathilde", lui dit Antoine. "Je ne sais pas si c'est vous qui me bouleversez ou si je suis dans une phase complètement dépressive", lui répondra-t-elle plus tard. A l'image de ce personnage, le film hésite: il veut émouvoir, mais il sait aussi qu'il doit regarder en face la dépression qui frappe presque tous ses personnages et au-delà d'eux, le pays. Lorsqu'on aperçoit, vers la fin, le visage vieilli de Garance Clavel, on repense à la vie de quartier utopique telle que l'a décrite Klapisch au milieu des années 90 dans Chacun cherche son chat, vieux rêve auquel Antoine et son ami fumeur de joints (Pio Marmaï) songent encore en fixant la maquette d'une cité utopique dans laquelle ils imaginent un distributeur de cocaïne. De tous les côtés, quelque chose s'est effondré: dans les jardins, dans les immeubles, plus rien ne tient. A cause de cette noirceur - qui s'installe lentement dans le film, jusqu'au moment où Antoine lit Sleeping de Raymond Carver - les rires, dans la salle, ont progressivement cessé. On commence à comprendre alors que Dans la cour n'est pas un "feel-good movie": Gustave de Kervern n'y reprend pas le rôle d'Amélie Poulain, ce n'est pas un adolescent attardé qui s'amuse à faire des ricochets sur le canal Saint-Martin, c'est un homme usé, qui va au parc du coin quand il a le cafard et carbure à la 8.6 et aux Lexomil pour supporter la dépression des autres, avant de se dissoudre dans leur tristesse. Avec lui, le film finit par atteindre un point de non retour: dormir, ne plus penser. Et je repense alors à ces phrases d'Un homme qui dort : "Chaque jour égréné n'a fait qu'éroder ta patience, que mettre à vif l'hypocrisie de tes efforts. Il aurait fallu que le temps s'arrête tout à fait, mais nul n'est assez fort pour lutter contre le temps (...). Le jeu est fini, la grande fête, l'ivresse fallacieuse de la vie suspendue. Le monde n'a pas bougé et tu n'as pas changé. L'indifférence ne t'a pas rendu différent."