J'ai bien peur que l'horrible manteau vert que porte Catherine Deneuve dans ce film ne soit un frein à sa carrière en salle. J'entends d'ici les spectateurs cherchant quelque chose à se mettre sous les yeux lors d'un morne week end, dire en voyant l'affiche et surtout la photo qui traîne dans tous les magazines : "Pfff Deneuve qui essaie de faire peuple a accepté de porter une fringue de chez H&M ! Pas crédible ! " Ceux qui savent que l'habit ne fait pas forcément le film iront jusqu'à lire le résumé et y trouveront les mots " dépression" ou " fissure", termes guère engageant pour un film réalisé par un spécialiste de la comédie. Et puis le visage désabusé, au bord du suicide de Gustave Kervern n'inspire pas vraiment non plus l'hilarité et laisse sous entendre un de ces films neurasthéniques qui sont une des spécialités du cinéma français. De prime abord, ce film n'a pas grand chose d'attirant, aucun élément vendeur, sauf peut être Catherine Deneuve mais l'effet est annihilé pour cause de tenue vestimentaire improbable.
Il faudra donc un tout petit peu de courage ou de curiosité pour découvrir que "Dans la cour" est un film vraiment épatant. Après avoir lorgné vers les comédies façon Lubitsch, Pierre Salvadori revient vers un cinéma moins huilé, mais peut être tout aussi codé, le film choral. En plaçant sa caméra dans une cour d'immeuble plutôt moche, enfermant ses personnages dans un lieu clos, il réussit à nous étonner puis à nous émouvoir et au final, nous faire oublier l'horrible fripe de Mme Deneuve. Tout ce qui passait pour être sur le papier, cliché (les voisins un rien fêlés) ou improbable (Catherine Deneuve en femme lambda) ou lourdement symbolique (la fissure qui risque faire écrouler l'immeuble) devient ici délicat, décalé, drôle ou tendre. Chaque scène offre un moment inattendu, jamais surjoué et toujours en rapport avec le thème central du film : la fragilité et cette solitude omniprésente chez nos contemporains. De l'employée de pôle emploi au bord des larmes au voisin architecte hyper stressé, tous sont au bord de sombrer, il suffirait d'un détail pour que tout bascule, comme le personnage de Catherine Deneuve et sa fissure dans son appartement. La réalité est complice de leur petite folie mais se révèle une alliée bien sournoise.
Ce sont ces moments fragiles que capte si bien la caméra de Pierre Salvadori, tout en nuance, sans jamais appuyer son propos, il rend ses personnages, totalement humains et touchants. Toujours entre sourire et tristesse, le film dégage un très agréable parfum d'humanité. On se prend à aimer le personnage d'Antoine, pourtant guère expressif, mais sa solitude et son regard de pauvre ours abandonné se raccrochant à cette femme à la dérive, car c'est notre propre fragilité qu'il nous renvoie.
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