Succès inattendu de la fin d’année 2013, "Neuf mois ferme" a dû surprendre les fans du cinéma d’Albert Dupontel. En effet, si on retrouve bien la patte du réalisateur (avec son goût pour les personnages d’inadaptés sociaux, ses outrances visuelles et ses fulgurances comiques), force est de constater qu’il s’agit de son film le moins corrosif, le moins cartoonesque… bref, son film le plus abordable. Est-ce l’explication de son carton à sa sortie ? Ce serait réducteur tant "Neuf mois ferme" fourmille de qualités... Quoi qu’il en soit, il me parait difficile de ne pas être un peu déçu par le manque de mordant du scénario quant on sait que Dupontel a, cette fois, choisi pour cible la Justice et ses dysfonctionnements… soit un sujet propice aux critiques les plus acerbes et aux diatribes auxquelles nous avait habitués le réalisateur. Evidemment, Dupontel ne manque pas l’occasion de dénoncer certains travers, tels que la traitement très partial des dossiers par les magistrats, l’aveuglement des policiers et leurs réflexes de cow-boy, les prestations théâtrales et assez ridicules des avocats ou, plus généralement, le fonctionnement de l’administration qui ne récompense pas l’honnêteté mais l’ambition. Pour autant, le film ne fait qu’effleurer son sujet en se contentant de poncifs pas forcément injustifiés mais connus de tous… alors qu’il aurait pu aller beaucoup plus loin dans la critique et, surtout, dans le cynisme, dont le film manque cruellement. Il semblerait, cependant, que Dupontel se soit assagi, au moins le temps d’un film, en préférant s’intéresser à l’improbable couple formé par un magistrate arriviste (Sandrine Kimberlain, très bien mais pas au point d’être césarisée non plus) et un voyou multirécidiviste (Albert Dupontel, dans son emploi habituel). Bien que franchement tiré par les cheveux, l’histoire entre ces deux personnages, qui voient leur monde s’écrouler suite à un "accident" d’une nuit, est originale, même si elle ne fait pas l’économie d’une certaine morale un peu facile (la magistrate renoncera à sa carrière par soif de vérité, le voyou a eu une enfance difficile et n’est pas si méchant). Mais, une fois encore, Dupontel aurait pu tirer bien plus de leur confrontation et en profiter pour égratigner bien davantage la Justice. Pour autant, le réalisateur a su soigner ses dialogues (souvent très drôles) et ses seconds rôles qui s’avèrent savoureux, de Philippe Uchan en collègue abruti à Nicolas Marié en avocat bégayant (un peu lourd néanmoins), en passant par l’excellent Christian Hecq en flic bas du front et les apparitions des complices habituels de Dupontel (Terry Gilliam, Yolande Moreau, Philippe Duquesne, Bouli Lanners…). Dupontel a, également, su truffé son film de séquences hilarantes et totalement décalées, dont on retiendra, surtout, les malheurs de la victime amputé de toutes parts (et qui doit, notamment, reconnaître son agresseur à l’odeur, poussé sur une planche) et les bulletins d’information, doublé en langage sourd-muet par un Jean Dujardin à hurler de rire. Ces séquences et le talent des acteurs viennent compenser le rythme, parfois incertain, de ce "Neuf mois ferme" dont j’attendais sans doute trop, au vu des critiques dithyrambiques dont il a fait l’objet. Cette petite déception n’empêche pas le film d’être une réussite qui a mérité son succès et qui a permis à Dupontel de démontrer qu’il pouvait toucher un plus large public sans pour autant renier totalement son style. J’ai, néanmoins, préféré "Enfermés dehors".