De Zhang Yimou, je ne connaissais jusqu'à Epouses & concubines que sa triple exploration assez inégale du Wuxa Pian, le genre du film de sabre chinois (Hero, House of flying Daggers, La cité Interdite). Je savais donc déjà du cinéaste qu'il est un esthète accompli, d'autant que sa collaboration avec une toute jeune Gong Li, muse inspirante s'il en est, présageait du meilleur, et que je connais mal mes classiques du cinéma chinois. Voilà donc que j'ai lancé Epouses & concubines, huit-clos qui voit l'entrée d'une jeune femme en mal d'alternatives (première pique sociale) pénétrer dans le petit palais de son nouveau mari, polygame de son état. Extrêmement intriguant, ce pitch confirme rapidement toutes ses promesses par un développement intelligent, bien dosé et très riche. A travers cette histoire d'intrigues entre concubines cherchant à s'attirer les faveurs d'un maître qui ne leur manifeste qu'un vague intérêt (la caméra ne le montre qu'en plans larges et éloignés, sans l'impliquer dans un récit dont la dureté ne le concerne pas puisqu'il ne la subit pas), on peut en effet voir bien des arc narratifs et interprétatifs se recouper. La critique sur les pratiques féodales encore en vigueur dans certaines des mœurs ainsi que la soumission de la femme paraît évidente, mais il n'est pas interdit de croire, plus largement, à l'étalage très didactique d'un schéma général sur le rapport dominant/dominés qu'on retrouve dans bien des interactions humaines. A partir d'un exemple, Zhang Yimou (qui adapte ici une nouvelle, à laquelle une part du mérite revient sans doute) parvient à dresser un inventaire général de toute l'humanité et à parler avec précision d'un large spectre de situations. Et ça, c'est fort ! Aussi fort que l'emprise technique du film ; si le réalisateur de Hero ne se foule pas avec la kyrielle de plans fixes qu'il adopte, le choix me paraît judicieux et justifié par l'immobilité de la vie des quatre femmes. Les cadrages anguleux renchérissent, rappelant l'idée de verrouillage, d'entrave. Des extérieurs grisâtres à la texture carcérale contrastent avec une très bonne utilisation du jaune et du rouge, surtout en intérieur, permettant d'exprimer des idées géniales (ah, les fameuses lanternes !). Bref, j'aime autant la forme que le propos. Maintenant, j'ai toujours autant de mal avec la posture adoptée par le cinéma de Zhang Yimou, un peu trop solennel, et son manque d'amour pour des personnages qu'il ne paraît pas suivre jusqu'au bout. La mise en abyme émotionnelle est impossible, sans que l'on puisse trop savoir pourquoi. Sans doute est-ce la froideur du réalisateur devant des situations difficiles, qu'il refuse d'appuyer, ou alors qu'il appuie de manière plus sentencieuse qu'empathique. Résultat, j'ai à chaque fois vraiment conscience de regarder un film, pas de le vivre. Alors je commence à tenter par moi même le travail qui devrait incomber à l'oeuvre, à grands coups de "Allez Kloden, rentre dedans". Et là, c'est déjà perdu. Cette fois cependant, et contrairement à La Cité Interdite, vraiment trop artificiel, on sent un certain désespoir et quelque chose de plus naturel. Donc vraiment un bon film, qui je pense fera des ravages chez quiconque il emportera avec lui. Solide et travaillé.