Emmanuel Mouret prend une autre voie avec "Une autre vie", assez difficile à classer d'emblée : comédie dramatique, mélodrame, thriller ? Par rapport à ses marivaudages brillants habituels façon Rohmer revisité avec verve et malice, ce cru 2013 paraît réaliser un grand écart sans appel. Mais c'est encore finement écrit (découpage dramaturgique, étude des caractères, personnages secondaires en fait pas du tout secondaires, du frère et imprésario d'Aurore, Paul - Stéphane Freiss - au soupirant de celle-ci, le jeune compositeur - Thibaut Vinçon, en passant par l'ancienne servante-maîtresse du père de Paul et Aurore, Claudine - Ariane Ascaride) et là, fort joliment mis en scène aussi - enfin des extérieurs (et des plus beaux encore - la région d'Hyères) ! Avec un soin remarquable, comme à l'accoutumée, porté aux dialogues - littéraires juste ce qu'il faut, et une musique réussie (Stéphane Hetzel façon Bernard Herrmann des grandes années Hitchcock).
J'avoue adorer l'univers d'Emmanuel Mouret ("Un baiser, s'il vous plaît", en favori), et avais peur d'être déçue. Ce ne fut pas le cas, à une ou deux réserves près... La distribution des deux rôles principaux.
Jasmine Trinca (vue récemment dans le très remarquable "Miele" de Valeria Golino), dans un registre à la Ingrid Bergman (à laquelle elle ressemble pas mal - les pores dilatés en plus, et avec des yeux bruns) peine un peu à installer son personnage de grande bourgeoise saisie par un amour immense (mais très en-dessous de sa condition, sociale, et artistique) - son accent, même léger (et justifié par une pirouette scénaristique faiblarde), étant un vrai handicap. Quant à JoeyStarr, Jean, le poseur d'alarmes dont s'amourache Aurore, s'il arrive (bravo - méritoire !) à gommer son horrible accent de banlieue, à tenter une composition (au lieu d'être simplement lui-même, comme dans ses rôles habituels), son charisme de bull-dog peine à rendre l'idylle crédible. La variation de base sur l'air du "ver de terre amoureux d'une étoile" sonne souvent creux.
En revanche, Virginie Ledoyen (déjà distribuée dans "Un baiser.."), à la fois solaire et venimeuse, est remarquable de noirceur sucrée, en compagne trahie (Dolorès). Ce "deux Belles et la Bête" vaut beaucoup grâce à elle.