La Géorgie, petite république du Caucase, à nouveau indépendante depuis 1991, a connu depuis lors plusieurs guerres d'indépendance (Abkhazie, Adjarie, Ossétie-du-Sud), lui ayant coûté une part importante de son territoire, et réduisant ses habitants à moins de 4,5 millions. C'est aussi un pays connaissant de graves difficultés économiques. Histoire de remonter le moral de la population, la mairie de Tbilissi décide de financer une émission de télévision, entre le concours de beauté et la télé-réalité, et fortement dopée au patriotisme. 10 femmes ont été "castées", entre la petite vingtaine et la grosse quarantaine, qui vont concourir pour le titre de "Meilleure mère de l'année" (2010). On suivra surtout 6 d'entre elles, avant que ne débutent les épreuves de qualification (rapportant des points), pendant celles-ci, et jusqu'à la finale : Gvantsa, la violoniste rebelle anorexique, Elene, la réfugiée d'Abkhazie, fuyant l'épuration ethnique, qui vit avec mari et enfants depuis de longues années dans une chambre d'hôpital réquisitionnée, Irina, qui va être expulsée pendant le concours de son pauvre logement qu'elle habite avec mari et enfants (4) - elle allaite d'ailleurs la plus jeune, Tamuna, la plus âgée, qui dispute son jeune amant Dima à Gvantsa (25 ans et 3 enfants de 3 pères différents, névrosée et probable nymphomane), Inga, veuve après 7 maternités, la voisine de Gvantsa, qui gagnera la phase "meilleure cuisinière". Ces 5 femmes ont en commun une vie de souffrances, matérielles et morales, bien différente de celle de la 6ème, Baya, la seule qui pourrait concourir dans un vrai concours, de beauté, mais aussi la seule sans enfant(s) - son mari étant le sponsor de l'opération et oligarque (parlementaire et familier du maire), la ravissante jeune femme a pour autant été sélectionnée sans difficultés. Outre la gloire du titre, le prix promis est évidemment convoité par les postulantes, avec plus ou moins d'urgence (sauf par Baya) : un appartement de 4 pièces, et 25.000 dollars. Un toit garanti et une fortune en prime (salaire moyen en Géorgie en 2010 : 2.771 dollars annuels).
"Keep smiling" sera l'antienne serinée par le meneur de jeu tout au long de ces quelques semaines, et la rengaine servant à la mise en place de la soirée de finale, en direct. Une "scie" au goût particulièrement amer, au fur et à mesure que la machine se grippe.
La trentenaire Rusudan Chkonia brosse avec ce premier "long" (écrit, réalisé et en partie monté par elle), récompensé par une "Antigone d'Or" à Montpellier en 2012 (Festival international du Cinéma méditerranéen), un portrait de femmes en groupe absolument bouleversant, sans une once de guimauve ou de pathos. Tant de douleurs, de destins et de vies en vrac, d'espoirs déçus.... Mais aussi tant de dignité, et de solidarité. Féminines - les hommes (le jeune Tornike, l'aîné d'Irina mis à part) étant quant à eux tous au mieux ridicule (le présentateur), ou surtout falots, vénaux...imbuvables ! Ce vrai conte moral vaut, au-delà de la dénonciation (féroce, mais aussi cocasse par instants) d'une société dévoyée par le miroir aux alouettes tendu aux laissés pour compte (participantes, comme spectateurs) - ce qui a été déjà fait et réussi par d'autres (voir par exemple le "Reality" de Matteo Garrone, nettement plus appuyé et même carrément "hénaurme"), de l'exploitation mercantile et/ou politique de la misère et de l'affliction (voir à cet égard l'épisode où l'on demande à Elene une confession détaillée de la mort tragique d'un nourrisson, pour justifier le "coup de coeur" des spectateurs votant par téléphone), pour son épilogue surtout, où la dramaturgie s'emballe, et finit en tragédie. Et plus, en pointillés. La femme est l'avenir de l'Homme - en tout cas celui de la Géorgie, mère ou pas.
Des actrices étonnantes, remarquables de naturel, qui ne jouent pas dans une fiction dirait-on, mais sont saisies par la caméra d'une documentariste. L'affiche tente (citant "Variety") un parallèle avec "The Full Monty" ("en talons-aiguilles et bikinis"), et le chorégraphe du film renchérit d'ailleurs, en parlant de l'effet visé par les producteurs de l'émission : "un strip-tease de l'âme". Oui, mais. Ces 10-là qui ne sont pas des copines, qui sont en concurrence, vont réussir bien plus édifiant que les "potes" anglais....