Au cinéma, pour moi, rien n'est plus jouissif que d'être confronté à un film mariant avec intelligence émotion, humour et intérêt sociologique et/ou politique. Si, en plus, la mise en scène est brillante, la photographie particulièrement réussie et l'interprétation exceptionnelle, alors là c'est la régalade complète. Eh bien, toutes ces qualités sont réunies dans "Philomena", le dernier film de Stephen Frears. Au départ, une histoire vraie : celle de Philomena Lee qui, tombée enceinte à l'âge de 18 ans, en Irlande, un pays où règne l'obscurantisme d'une religion catholique poussée à l'extrême, est prise en charge dans un couvent par des sœurs restées au moyen âge quant à l'évolution des mœurs : elle a pêché, elle doit expier, c'est-à-dire travailler comme une bête dans la blanchisserie du couvent, ne voir son fils Anthony qu'une heure par jour et, finalement, le voir disparaître alors qu'il a 3 ans, acheté par de riches américains. De cette histoire et de sa suite, le journaliste Martin Sixsmith a tiré un livre, "Philomena", qui vient d'être publié en français. Acteur britannique spécialisé dans les rôles comiques, Steve Coogan s'est montré très intéressé par ce livre et il en a obtenu les droits : l'occasion pour lui de pouvoir interpréter son premier rôle dramatique. Avec l'aide de Jeff Pope, il s'est attelé à l'écriture du scénario et la réalisation a été confiée à Stephen Frears.
Une des forces de "Philomena" est de nous montrer les dégâts que peut causer une religion lorsqu'elle est vécue de façon outrancière par des êtres qui ont abandonné toute réflexion personnelle et tout sentiment de pitié et de pardon. Lorsque le fils de Philomena est vendu aux américains, la hiérarchie du couvent est ouvertement dure, ignoble dans son comportement. Frears et le duo de scénaristes nous montrent que, 50 ans plus tard, la nouvelle hiérarchie, sous une apparence beaucoup plus amène (sic !), ne vaut guère mieux que la précédente : on reçoit avec politesse, on offre du thé et des petits gâteaux mais on continue d'être dans le mensonge et dans l'ignominie. Cette religion, Philomena ne la vit pas de façon outrancière, elle est généreuse, elle sait pardonner, mais elle subit quand même le dégâts de la religion, gardant pour elle, pendant 50 ans, le secret de cet enfant caché, persuadée qu'il est normal d'avoir été punie dans la mesure où elle avait pêché.
Une autre grande force du film est de présenter deux personnages qui, chacun de son côté, sont des archétypes de ce que la société britannique peut offrir de plus typique : d'un côté, Philomena, la "old lady" qui vient du peuple, certes naïve et peu cultivée mais chaleureuse, indulgente et accueillante ; de l'autre côté, l'"oxbridgien", cultivé, sûr de lui, plutôt arrogant, plutôt méprisant, qui, au début, ne va s'intéresser à Philomena que parce qu'il a besoin de retrouver un travail. Elle est croyante, il est athée, elle est prête à pardonner le comportement scandaleux des sœurs, il est de plus en plus scandalisé par ces mœurs d'un autre âge. Un voyage aux Etats-Unis sur les traces d'Anthony va leur permettre de rapprocher petit à petit leurs points de vue. Les interprétations de Julie Dench et de Steve Coogan sont absolument exemplaires et le film, par ailleurs souvent très drôle, regorge d'émotion sans jamais glisser vers le pathos. Vous voulez une preuve de plus qu'il faut absolument voir ce film? Sachez que les Inrockuptibles n'ont pas aimé. Si ce n'est pas une preuve, ça !