Comment faire d'un très honnête film une manipulation sournoise….
Sorti en janvier 2014, c'est un film de Stephen Frears, tiré d'une histoire réelle, rééditée aussi en librairie sous le titre éponyme.
Roscrea, Irlande, 1952, Philomena Lee, encore adolescente se retrouve enceinte à la suite d'un flirt poussé. Abandonnée par sa famille, elle est envoyée dans une maternité tenue par des religieuses qui vont la prendre en charge. Le climat est rude et les religieuses, notamment la soeur Hildegarde, ont souvent des propos sévères, reliant les difficultés de l'accouchement au "péché charnel" qui fut commis.
Le ton est si dur qu'il frôle la caricature. C'est tellement tendance de critiquer les cathos, surtout s'il s'agit de religieuses, irlandaises de surcroit (souvenez-vous des Magdaleans Sisters...) On devine rapidement que l'institution les incite à renoncer à leur enfant pour qu'il soit adopté. Ce qui n'est pas absurde ; dans les années 50, rejetée par sa famille, comment une adolescente aurait-elle pu élever un enfant seule ? Avec notre mentalité de 2014, on est scandalisé. Et pourtant…ces filles ne manquent de rien et elles ont la joie (très visible) de mettre au monde leur bébé, et de le voir grandir. Aujourd'hui, l'entourage et le système les pousseraient à avorter. Notre individualisme moderne est choqué voire horrifié, tellement il est formaté pour rejeter toute contrainte.
Philomena voit alors son petit Anthony partir avec ses parents adoptifs sans pouvoir lui dire adieu. Séquence déchirante et très émouvante. Contre toute attente, cette épreuve va fortifier sa foi. Une foi simple, humble et solide qui irradie tout le film.
Nous retrouvons Philomena cinquante ans plus tard sous les traits de Judi Dench, vous savez "M" des derniers James Bond. Elle est ici exquise de simplicité, de présence et de naturel. Un jour, Philomena partage avec sa fille ce lourd secret qui la hante et la culpabilise depuis toujours : l'abandon de son fils Anthony qu'elle ne se pardonne pas. Poussée par sa fille elle va alors chercher à retrouver sa trace.
Elle entre en relation avec Martin Sixsmith (Steve Coogan), un ancien journaliste de la BBC, qui tourne un peu en rond. Ce dernier conclut avec le Paris-Match local un juteux contrat pour couvrir le voyage et pondre en échange un article qui s'annonce sulfureux et anticlérical. Commence alors un road-movie rondement mené aux allures de thriller où l'humour est souvent présent.
Le duo entre Philomena et Martin Sixsmith est très savoureux. Le journaliste prend à son compte toutes les critiques et tous les poncifs entendus sur la religion. Leurs discussions sont souvent vives. Philomena, avec sa foi profonde, charnelle et chevillée au corps a toujours le dernier mot. C'est un régal…qui a lui seul justifie d'aller voir le film.
Le périple commence par Roscrea, qui a bien changé depuis cinquante ans. Mais c'est peine perdue, les sœurs assurent n'avoir aucun indice permettant de remonter vers la famille adoptive et vers l'enfant. C'est finalement aux Etats-Unis, qu'ils vont retrouver la trace d'Anthony, devenu Mike. Mais, ce dernier, atteint du Sida est décédé dix ans plus tôt en 1995. Tentés de tout abandonner, Philomena et Martin se ressaisissent et entreprennent de rencontrer ceux qui l'ont connus. Ils découvrent alors que Mike / Anthony a souhaité retourner en Irlande, à Roscrea pour y mourir et y être enterré. Philomena est bouleversée : ce fils qu'on lui a arraché avait cherché à la retrouver !
Retournés au couvent nous avons droit à une scène assez pénible où la vieille sœur Hildegarde, pleine de rancœur et de sexualité refoulée à la suite de son vœu de chasteté, avoue avoir caché la vérité. Et Philomena néanmoins pardonne. Cette dernière scène montrant l'Eglise sous les traits infâmes de la vielle sœur anéantit l'excellente impression laissée depuis le début. Finalement c'est Philomena avec sa foi vive et tolérante qui est admirable et l'Eglise, l'Institution qui est abjecte. Comme c'est facile !
Sentant l'arnaque, je me suis documenté. En effet les derniers propos de sœur Hildegarde, sont peu vraisemblables : qu'une religieuse, qui a consacré toute son existence à la prière, exprime au soir de sa vie des rancœurs de gamine refoulée serait étrange. Je me suis lancé dans une lecture brève de l'ouvrage de Martin Sixsmith, "Philomena".
Bien entendu la dernière séquence est une pure invention du couple Steve Coogan / Stephen Frears (co-scénariste et réalisateur).
Dans le livre :
- à l'époque de la première visite à Roscrea, les vieilles sœurs étaient déjà décédées.
- Mike n'est pas retourné mourir à Roscrea, mais a demandé à y être enterré.
- le changement de prénom de l'enfant (Anthony > Mike) explique la méprise lors de la visite en 2004.
Curieuse, cette facilité à tromper le spectateur en présentant comme élément d'une histoire vraie un propos mensonger. Pas très honnête le Frears….
Voir aussi le reportage de Paris-Match :