Les débuts de Brian de Palma sont fort différents de ceux de Francis Ford Coppola, Martin Scorsese ou encore Peter Bogdanovich qui ont fait leurs armes auprès de Roger Corman dans le cinéma de genre et de série. Fils d’un chirurgien-dentiste et d’une mère au foyer se rêvant cantatrice, il grandit à Philadelphie puis dans le New Hampshire où ses parents d’origine italienne et catholique, l’élève selon les préceptes protestants dans un souci d’assimilation à la culture américaine. Fortement impacté par les mésententes conjugales de ses géniteurs, il se réfugie dans sa chambre pour lire. Il commence ensuite des études scientifiques à l’Université de Columbia mais s’oriente bientôt vers les sciences humaines. Sur place, il s’initie au cinéma européen très en vogue à l’époque Outre-Atlantique. Fasciné par la technique, il cherche à comprendre comment se fabrique un film. Dès lors, le chemin qui va mener le jeune homme vers la mise scène se dessine doucement mais sûrement. Les courts-métrages d’abord, dont son troisième plusieurs fois primé, l’encouragent dans ce qui semble être une vocation. En 1968, il réalise « Meurtre à la mode », son premier long métrage. Le manque de moyens est patent et l’improvisation largement présente mais déjà l’esthète se fraye un chemin qui cherche à se doter d’une marque esthétique que l’on voit déjà poindre par-delà le recours au style documentaire qui sous-tend le cinéma engagé qui est alors celui de De Palma, très marqué par l’assassinat de John puis de Robert Kennedy, la guerre du Vietnam, les mouvements de révolte noirs mais aussi par l’influence des media et de la consommation sur les comportements sociaux. Avec le recul, en visionnant ses premiers travaux inaboutis et un peu foutraques, on peut déjà détecter dans "Hi Mom !", certaines des obsessions (les phobies, le voyeurisme, la culpabilité) qui parcourront la filmographie de De Palma ainsi que les premières empreintes d’une grammaire cinématographique particulière (langage visuel et narratif hitchcockiens, split-screen, usage du gros plan et de couleurs saturées,..). Mais ce sont bien les films postérieurs comme « Obsession » (1976), « Carrie » (1976), « Blow out » (1981 », « Scarface » (1983), « Body Double » (1984) ou encore « L’impasse » (1993) qui permettent de regarder avec bienveillance des premiers travaux qui n’ont de réelle portée que vus comme les œuvres de jeunesse d’un réalisateur, flirtant avec l’underground new yorkais. Ainsi, « Hi Mom ! » qui constitue un diptyque avec « Greetings » où déjà Robert De Niro débutant tenait le premier rôle. Revenu du Vietnam, Jon Rubin (Robert De Niro) cherche un emploi et un logement. Quand il visite un appartement délabré pour lequel l’inénarrable Charles Durning lui fait l’article de manière complétement surréaliste, le jeune homme tout d’abord très sceptique s’emballe quand il constate que de sa fenêtre, il aura la vue sur une multitude d’appartements que De Palma nous présente comme autant de petites cases d’une boîte de rangement à couture. Jon Rubin va pouvoir observer la vie de ses contemporains, donnant ainsi libre court à son voyeurisme tout en tentant d’en tirer parti en se mettant entre les mains d’un producteur de films pornographiques qui lui permettra de s’équiper en matériel de tournage. Allusion à l’œuvre d’Hitchcock (« Fenêtre sur cour »), qui sera très présente dans les films de De Palma jusqu’au mitan des années 1980. Voyeur mais pas uniquement passif, Jon Rubin s’immisce dans la vie de l’une des jeunes femmes qui l’a séduit au bout de son objectif. S’ensuit la description plutôt jubilatoire de la rencontre avec la très pétulante et décomplexée Judy Bishop (Jennifer Salt) qui n’aime rien tant que faire l’amour et s’empiffrer de toute nourriture lui passant sous la main au grand étonnement de Rubin surpris par tant d'audace et de naturel. Les pérégrinations du jeune homme le conduisent à postuler pour figurer comme flic dans un pseudo-documentaire censé faire vivre à des blancs la vie infernale des noirs en Amérique (spectacle théâtral impliquant les spectateurs très en vogue à l'époque). Occasion pour un De Palma politisé et en révolte de montrer comment les petits bourgeois voulant s’acheter une bonne conscience, se laissent complaisament humilier sans réagir. Sans réel chemin narratif, le film se conclura par un regard goguenard du jeune De Niro face caméra, saluant sa maman : « Hi Mom ! ». Le film au contraire de « Greetings » qui avait rapporté vingt fois son budget ne trouvera pas son public, conduisant le jeune réalisateur à s’interroger sur le virage qu’il devait prendre. De Palma rejoindra donc la Mecque du cinéma où à partir de « Sœurs de sang » sorti en 1973, il affirmera sa prédilection pour le film à suspense qui le verra s’affirmer comme un maître du genre sans toutefois parvenir à se départir avant longtemps de l’étiquette de plagiaire d’Hitchcock. Pour Robert De Niro qui ne collaborera plus avec De Palma avant une prestation plus que jouissive en Al Capone dans « Les incorruptibles » (1987), on peut remarquer que tout est déjà présent dans son jeu et notamment les fameux monologues de Travis Bickle devant sa glace, emblématiques de « Taxi Driver » qu’il rôde plus de six ans avant de les placer dans le chef d’œuvre de Martin Scorsese. Un film sans vraie ligne directrice par moments cocasse ou à d’autres un peu exaspérant que tous les admirateurs de Palma voudront voir pour compléter leur culture sur le réalisateur mais aussi mesurer le chemin parcouru et les passages parfois obligés du métier qui en conduisent beaucoup vers la sortie.