En berne après la Seconde Guerre mondiale, le cinéma allemand a tardé à renaître de ses cendres. C'est à la fin des années 1960 et au début des années 1970 que de nouvelles voix et de nouveaux regards s'imposent vraiment. Schlöndorff, Herzog, Fassbinder et Wenders sont les fers de lance de ce jeune cinéma allemand. Brillant touche-à-tout (journalisme, théâtre, télévision...), Fassbinder commence à tourner pour le cinéma en 1969, avec une certaine frénésie. Il signe huit longs-métrages en deux ans. Le Marchand des quatre saisons est son neuvième. C'est aussi son premier grand succès, salué à l'époque comme l'un des meilleurs films allemands depuis la guerre.
La première moitié du récit est riche en événements mélodramatiques, avec des émotions exacerbées. Un peu trop. Fassbinder laisse s'exprimer son goût pour les films de Douglas Sirk. Rebondissements multiples, scènes larmoyantes et quelques touches de couleur vive, dans un style cependant plus dépouillé et froid. Le portrait du personnage principal est d'abord chargé de défauts : coureur de jupons, ivrogne, violent. C'est une "mauvaise graine" selon sa mère ; un "sale porc" selon sa femme. Bref, il y a là tous les éléments d'un mélo manichéen de base. Le film devient plus intéressant et subtil dans sa seconde moitié, à partir du moment où Fassbinder commence à renverser les perspectives et à cerner le pourquoi du mal-être de Hans. Bridé dans ses aspirations professionnelles (sa mère lui a interdit d'exercer une profession manuelle quand il était jeune) et amoureuses (il est passé à côté du grand amour de sa vie), ce personnage apparaît comme un être mal-aimé, vaincu par la vie que d'autres lui ont imposée. Une vie ratée, faite d'illusions perdues. Sa dépression finale et sa dérive suicidaire n'en sont que plus touchantes. Le réalisateur se livre, via ce portrait, à une critique en miroir d'une société allemande engoncée dans ses principes et ses préjugés, d'une raideur implacable, liberticide, hypocrite, bassement matérialiste. Et plus largement, il décrit un monde sans chaleur, sans amour, sans compassion. Un monde où la froide raison du plus grand nombre l'emporte sur le désir individuel. Fassbinder montre ainsi de façon convaincante, et particulièrement glaçante, la médiocrité et la cruauté au quotidien.