En dépit de toute cette sombre affaire sur laquelle je ne reviendrais pas, il faut tout de même reconnaître qu'en tant qu'artiste, Polanski est un bon. Un très bon même. Et cette Vénus en Fourrure, non contente de nous prouver qu'il en a encore bien plus qu'il n'en faut sous le capot, se hisse d'emblée parmi les meilleurs films de sa pourtant déjà très grande filmographie.
Alors oui, on pourrait toujours lui "reprocher" de ne pas trop prendre de risque en s'essayant à un huis clos pour son 20ème film, un genre qu'on sait qu'il maîtrise à la perfection, et parce que son précédent opus, le déjà excellentissime Carnage, en était un. Mais bon, encore une fois, il le fait à la perfection, alors pourquoi s'en plaindre ? Quoi que si vous deviez absolument avoir quelque chose à reprocher à ce film, je comprendrais que vous utilisiez cet argument là puisque c'est vraiment la seule chose qu'on pourrait lui reprocher tant le reste est absolument divin !
Je suis soufflé par la qualité du film, je ne m'attendais franchement pas à quelque chose d'aussi génial. En fait, j'avais même peur que je puisse mésestimer le film à cause de l'adoration que je voue à Carnage, mais il n'en est rien. La Vénus en Fourrure est en fait le jumeau démoniaque de Carnage. Bien qu'ayant à peu près le même schéma narratif, les deux sont tout aussi différent l'un de l'autre qu'ils sont excellent. Que du bonheur donc.
Dans Carnage, Polanski s'amusait à faire prendre au détail le plus insignifiant des proportions exponentielles pour aboutir à des situations toutes plus délirantes et surprenantes les unes que les autres. Ici, au-delà de l'évidente mise en abîme dû au fait qu'il illustre une audition entre un metteur en scène et une actrice (et du boulot de taré que ça a dû réclamer dans le développement du scénario), il s'emploie en permanence à opposer des éléments contradictoires, les mélanger, glisser vers l'un pour revenir vers l'autre, et ainsi explorer un très vaste champ de possibilités vraiment fascinants. Et ce, sur tous les éléments du film.
A travers ces deux personnages sublimement interprétés par une Emmanuelle Seigner et un Mathieu Amalrich au sommet, (à un tel point qu'il devient impossible à un moment donné de prendre le parti de l'un ou de l'autre dans leur jeu pervers du chat et de la souris), cette réalisation virtuose de Polanski, les décors et costumes, ou encore l'utilisation avec parcimonie de la musique et des bruitages dans le film, c'est une multitude d'affrontements tous aussi passionnants les uns que les autres auquel on assiste, celui de l'homme et de la femme, de l'amour et de la haine, du sexe et de la passion, du dominant et du dominé, de l'ancien et du nouveau, de la vieillesse et de la jeunesse, du nu et du couvert, du vide et du plein, de la vérité et du mensonge, de l'identité et de la façade, du silence et du bruit, de la réalité et de la fiction ... Et ça, ce ne sont que ceux dont je me souviens. Je suis certain qu'il en reste encore plein, et que cela ouvre le champ a des tonnes d'interprétations fascinantes. La richesse thématique du film est incroyable et a en plus le mérite de ne jamais prendre inutilement le pas sur le moindre autre élément du film, tout en permettant de maintenir un fort intérêt et un rythme parfait. Qui plus est, le film sait jongler en permanence entre une ambiance vraiment drôle et étouffante dramatiquement, mêlant parfois les deux très habilement. Je peux difficilement entrer davantage dans les détails sans finir par spoiler, mais en résumé, Polanski a effectué un dosage millimétré, un incroyable travail d'horloger sur chaque élément du film et à réussi à les unir dans une harmonie hallucinante.
Le seul détail qui m'a un poil gêné (ça reste une broutille à l'impact quasi nul qui n'entache en rien le résultat final), concernerait l'orientation prise par le film sur la fin.
Je trouve que le film, qui était parfait tant qu'il ne prenait le parti d'aucun des personnages, finit par se positionner de manière un peu trop évidente, scénaristiquement parlant en tout cas (car thématiquement, il n'épargne aucun des deux) vers l'un d'entre eux, ce qui limite un tout petit peu l'impact qu'aurait pu avoir la fin (qui reste hallucinante et excellente tout de même) s'il avait gardé sa neutralité jusqu'au bout.
Voilà cinéma français ! Voilà ce que j'appelle un vrai film d'auteur réussi ! Un film bourré d'intelligence et qui pousse la réflexion très loin mais qui n'oublie pas pour autant de mettre tout cela au service d'une bonne intrigue, avec un vrai rythme, des acteurs investis qui ne se contente pas de parler, marcher, manger ou boire comme dans "la vraie vie", mais qui jouent aussi leur putain de rôle, et une réalisation virtuose à la limite du transcendantal. Tu devrais remercier Polanski de t'avoir offert ce joyau au sein de ton bien trop morose bilan de l'année (qui a dit de la décennie ?), et en prendre de la graine ...
En tout cas, merci Roman pour ce très grand moment de cinéma !
Ma Note : 18,5/20