Dans Carnage (2011), Roman Polanski revenait au huis clos, un genre qu'il avait déjà largement exploré dans ses jeunes années, nous livrant une comédie de mœurs très noire et très enlevée mais qui restait au fond, bien que brillante, une comédie de mœurs. S'étant visiblement piqué au jeu, il revient cette année avec une nouvelle œuvre construite sur les mêmes fondations, réduit cette fois à un simple face-à-face et balayé par une réflexion sur le concept même de création et d'interprétation. Il faut être un sacrément bon réalisateur pour embarquer le spectateur pendant plus d’une heure et demie avec ce seul principe d’action : c’en est assurément un.
Véritable pari cinématographique, La Vénus à la fourrure, bien qu’excellemment réalisé mais ce n’est pas une surprise, n’aurait pu exister sans un casting à la hauteur. Construit sur le double jeu permanent de deux individus, un réalisateur de théâtre et une aspirante actrice se donnant autant la réplique en répétant le texte que dans les intermèdes espaçant ces scénettes, le film de Roman Polanski dépend en effet fondamentalement de la capacité de ses deux acteurs à incarner chacun la dualité de leur personnage et d’être en somme à la fois leur propre réalisateur et leur personnage.
Dans le rôle du metteur en scène excédé par une journée entière d’auditions ratées, Roman Polanski agite avec le jeu de Mathieu Amalric, d’une justesse déconcertante de la première à la dernière seconde, la marionnette d’un homme dont on n’a du mal à s’empêcher de penser qu’il ne serait pas en partie son double. Une impression d’autant plus troublante que le réalisateur polonais choisit ici son épouse à la ville pour donner la réplique à Mathieu Amalric à la scène, reconstituant ainsi un couple déjà aperçu dans Le Scaphandre et le Papillon (2006).
Impossible évidemment dans ce contexte de ne pas s’interroger au moins un moment sur l’étrange formule de ce ménage à trois, offrant au film une infinité de lectures et sous-lectures. Mais là n’est sans doute pas le plus important et il est d’ailleurs permis de se demander quelle Vénus aurait pu nous offrir Roman Polanski si son casting féminin avait été plus osé, Emmanuelle Seigner ayant un peu de mal à nous faire avaler qu’elle peut jouer une gamine ingénue à moitié illettrée comme le début du film le suggère, même si elle est ensuite bien plus crédible dans la peau d’une dominatrice à mesure que l’intrigue se met en place.
Même cette légère approximation n’empêche cependant à aucun moment La Vénus à la fourrure de fonctionner, l’étonnant duel s’installant entre ses deux acteurs parvenant à merveille à nous transporter dans le public du théâtre, captivés par l’alchimie et la dramatique en marche. Pour accomplir pareil exploit, il fallait deux acteurs investis jusqu’au bout des onglets et des textes écrits à la virgule près : Roman Polanski les a.
Ce faisant, il nous offre alors à voir une œuvre aussi minimaliste que labyrinthique et proprement hypnotique, interpelant sans cesse. Superbe hommage au cinéma, son film est un monde à part entière, interrogeant avec une intelligence rare notre vision de l’art, de l’artiste et de ses motivations déclarées et cachées. Son film est alors plus qu’une simple mise en abîme du septième art mais une invitation à la réflexion, que chacun pourra d’ailleurs saisir selon sa propre imagination et ses propres codes, ce qui montre toute la réussite de l’entreprise.
Roman Polanski nous montre ici avec éclat que l’écriture et le jeu peuvent à eux seuls transformer une figure imposée en création vivante, sans le moindre effet spécial ou largeur de casting. Le talent est par contre préférable, mais il n’en manque pas. C’est à peu près tout ce que l’on peut demander au cinéma.