David Gordon Green nous replonge une nouvelle fois dans le sud rural d’une Amérique déglinguée en adaptant le roman éponyme de Larry Brown. Joe, figure virile d’un milieu peu recommandable, d’une classe américaine sise au-dessous d’un certain seuil de pauvreté. Soyons franc, le Mississippi de Larry Brown, par analogie celui de Green, n’est pas rose. Sa teinte s’approche en fait carrément du sombre, du noir, comme l’était le roman. Une famille de vagabond dont un père alcoolique de dernier degré, une mère déjantée, une sœur mutique et un jeune garçon laissé pour compte font la connaissance de Joe, ex-détenu, lui aussi porté sur la bouteille mais concrètement en voix de rédemption. Si Joe ne semble pas être à qui l’on confierait sa destinée, l’attachement réciproque entre le jeune Gary et cette figure masculine changera le cours de leurs vies respectives. S’il est assez simple d’entrer dans l’histoire, il apparaît pourtant très vite qu’au même titre que Larry Brown, le cinéaste aux commandes s’entend très bien pour faire de cette rencontre un profond drame humain sur fond de précarité.
Le sud, terre sauvage, peuplée de bonhommes peu reluisants, de serpents, d’inégalités crasses. De maison en maison, de bois en bois, le film de Larry Brown ne sort jamais du carcan de la décrépitude. La leçon est limpide tant l’Amérique dépeinte ici fait singulièrement peine à voir. Mais n’était-ce pas le but du romancier derrière le récit? Dresser le portrait d’un arrière-pays ravagé et complètement déglingué par l’alcool, la drogue, le vice et la violence. Bref, les personnages sont d’une rare justesse, à commencer par le vieux, père alcoolique, violent et franchement malsain. A l’instar de Mud, signé Jeff Nichols, on redécouvre pour l’occasion le jeune Tye Sheridan, adolescent marquant de par sa tenue, son faciès. Le jeune homme se heurte pourtant ici à plus fort que lui, en la personne d’un Nicolas Cage en pleine guérison artistique. Si Joe n’est sans doute qu’un passage dans la filmographie pantelante du célèbre comédien, il n’en reste pas moins que sa présente prestation s’apparente clairement à sa meilleure apparition depuis plus de dix ans maintenant. Clairement l’homme fort au casting, l’acteur, très mature, drôlement à l’aise dans son rôle de rédempteur, de redresseur de torts, marque sa carrière d’une nouvelle pierre angulaire.
Mais dans le fond, qu’est-ce que Joe, je parle aussi bien du film que du roman, nous offre réellement? En somme que très peu de choses. Oui, peindre un tableau saisissant d’une Amérique foireuse, d’une société mal en point suffit-il pour qu’une œuvre marque réellement les esprits? A priori non. Malgré toutes les bonnes intentions du metteur en scène, qui raconte son histoire de manière très fidèle à l’œuvre écrite, l’ensemble ne fait que tourner en rond. Les esprits malsains le resteront quoiqu’il arrive et les âmes bienveillantes poursuivront elles aussi sur la même voie. Le monde n’est que crasse et décrépitude mais les personnages ne sont que des acteurs inutiles dans un marais gluant de personnalités similaires. C’est sans doute le crédo même de la littérature noire américaine, de Faulkner à McCarthy en passant par Brown, mais au cinéma, le postulat semble pourtant trop léger.
Il convient pour autant de découvrir Joe, qui s’il n’est pas franchement captivant, est au moins une excellente fresque sociale dans un milieu que l’on en connaît que très peu. En antagonisme parfait avec l’Amérique capitaliste que l’on ne cesse de nous exposer, celle de Larry Brown, le mérite de Joe en revient au romancier, est aussi grisante que captivante. Je pense là notamment aux quelques séquences de bûcheronnage sauvage dans les bois du Mississipi, nous pas pour l’exploitation forrestière mais simplement pour que les arbres meurent et que d’autres puissent en profiter. Un constat qui caractérise parfaitement le monde dans lequel Joe et Gary vivent. Un monde absurde régi par la violence et le profit hypothétique. 11/20