Le cinéma est un peu comme une petite amie séduisante à souhait mais un tantinet lunatique. Il peut nous promettre monts et merveilles à base de belles images d’Epinal pour ensuite nous enfoncer un pic à glace dans le dos et nous faire souffrir sans raison aucune, par pur plaisir jouissif. Mais on l’aime quand même notre meuf ! Et à l’instar d’une âme sœur, on le désire, lui donne rendez-vous, on l’attend, zappant d’une pub à l’autre. Puis la lumière s’éteint et l’excitation monte. Alors on déchante parfois en lui disant « C’est pas grave, ça arrive à tout le monde tu sais » ou bien encore on s’enfuit avant même l’épilogue, en claquant la porte et en s’écriant « Toi et moi c’est fini ! Plus jamais ! ». Et il y a des jours où l’on croise son regard, mystérieux, charmeur, au détour d’un hasard. On veut alors apprendre à le connaître un peu mieux, et on retente l’expérience, craintif mais confiant.
Le cinéma de David Gordon Green résume à lui seul cette introduction fleur bleue. Un parcours en montagnes russes qui parcourt les décors d’une Amérique éclectique à la rencontre des personnages qui l’habitent. Pour resituer, les plus aficionados se souviendront de « George Washington » fable macabre sous fond de manèges abandonnés. Quant aux plus drogués, ils se remémoreront le délirant mais sans plus « Pineapple Express » avec le quasi gratin Apatow de « Freaks and Geeks », entre autres. Bref, des genres diamétralement opposés qui respectaient tout de même une certaine rigueur dans leur cahier des charges respectif. Oui, mais depuis un moment, Gordon Green faisait dans le fade, laissant le What The Fuck l’emportait. Dommage… Et puis, « Joe ».
Découvert au moment de sa sortie, dans un magazine, la curiosité soufflait la poussière qui s’était accumulée sur le nom de Gordon Green, ravivant un souvenir presque oublié. Prévenant d’un retour aux sources, d’une renaissance, les mots sur le papier vendaient le film au lecteur comme un texto de minuit en guise d’invitation à une partie de jambes en l’air improvisée.
Séduit donc, les lumières s’éteignent et l’écran illumine une image tremblotante qui dévoile la gueule (mais cette gueule !) du regretté Gary Poulter (mort peu après le tournage) se faisant sermonné par son fils incarné par le prometteur Tye – Tree Of Life, Mud – Sheridan. Plan séquence efficacement simple, mais d’une complexité indescriptible et frissonnante au milieu d’une voie ferrée. En très peu de temps les personnages sont décryptés, leurs démons exposés, le décor planté. Du génie !
Puis la pluie. Le son crépitant d’une radio qui découvre un Nicolas Cage hirsute, bonhomme, marlborien et budweiserisant. Le temps fut long Mr Coppola ! Le temps de voir passer une filmographie à bout de souffle, sans plus aucune promesse. Le temps de comiquement conquérir internet malgré vous. Ce fut long mon cher Nicolas, mais vous revoilà, desservant une figure paternelle chère au cinéma du sud yankee, appliquant votre talent d’antan. Chapeau l’artiste.
Vous l’aurez compris, la force du film réside dans ses personnages, dans ces gueules cassées par la vie, illusionnée d’un rêve américain mort dans l’œuf. Des hommes et des femmes errant dans la subsistance, luttant contre les fantômes de leur histoire personnelle à grands coups de stupéfiants adjuvants.
Passage de l’enfance à l’âge adulte, confessions en forme de puzzle, fatalité d’un violent exutoire, rires gênés et crasse bordélique forment une histoire qui coule du caniveau vers des mares plus calmes.
Alors dans ces moments-là et dans le noir de la salle, entre vous et votre âme sœur, une trêve s’installe, douce et paisible.