Ah, on n'est pas dans le monde sympathique des bisounours qu'on nous a survendu pendant un trimestre. Le zentil petit couple de papa-papa, tellement désireux d'élever de zentils marmousets. Là, on est dans le monde de la drague pure et dure. On est dans le monde des hommes pour qui les vacances se résument à cela: s'exiber sur une plage, attendre la rencontre, et aller derrière un buisson pour un moment de jouissance, peut être sans aucun lendemain, peut être sans même s'inquiéter du prénom du partenaire. Cela pourrait il servir un discours homophobe? Sans doute, mais heureusement, les homophobes n'iront pas le voir, par principe, et il perdront donc un grand moment de cinéma. Comme si Alain Guiraudie, en choisissant un habillage assez provoquant, avait préservé son film de la vision de ceux qui ne le méritent pas....
Car il faut dépasser cette première impression, qui est quand même assez violente, pour rentrer dans le film, un thriller irrespirable -je dirais: le plus beau huis clos jamais représenté au cinéma. Huis clos d'autant plus brutal qu'on est en pleine nature; atmosphère confinée d'autant plus que le vent est toujours présent. Un film claustrophobe qui se déroule ainsi au sein de cette nature -il faut le faire....
Il y a une unité de lieu parfaite. On ne sort jamais de cette plage -du parking improvisé, derrière -et des étroits chemins qui les relient. La plage donne sur un lac, grand, profond, et dont on dit qu'il abrite un énorme silure (cela dit, les silures n'ont jamais bouffé personne). Ce lac est entouré de collines à la végétation serrée, dense, on a l'impression qu'il est totalement coupé du monde extérieur, ce qui accroit son côté inquiétant. Soleil, vent, crépuscule, nuit. Les mêmes images, magnifiques, se répètent.
Il y a Franck (Pierre Deladonchamps), qui vient pour draguer -mais aussi peut être, secrètement, pour tomber amoureux? et Michel (Christophe Paou), corps d'athlète mais physique de beauf moustachu, [vous savez, le garagiste de village qui cocufie tous les commerçants et vous refile des pièces trafiquées], dont il tombe, effectivement, amoureux. Tout en sachant qu'il est dangereux -puisqu'il l'a vu noyer un amant précédent. Michel, inquiétant, mystérieux, mais aussi possessif, et dont Franck finira par avoir vraiment peur. Tout autour, il y a un petit monde glauque, celui qui se contente de se faire plaisir en regardant les autres, le mec à principes qui aime trouver son aire propre, et pas constellée de préservatifs usagés des vieux, des jeunes, des laids.... et surtout, le pathétique Henri (Patrick d'Assumçao), solitaire, moche et graisseux, et dans un isolement affectif extrême. Pourquoi vient il là, il n'est pas homo; oh, bien sûr il a été avec des hommes quand il était marié, puisqu'ils étaient grand pratiquants de partouzes -mais sa femme l'a laissé. Il est seul, complètement seul; il voudrait juste être ami avec Franck, un peu amoureux aussi, mais sans rien faire. Cet Henri qui, finalement, va se sacrifier pour Franck.
Il y a enfin un inspecteur bizarre, qui intervient lorsque le corps du noyé est retrouvé. Un inspecteur pas bizarre, ça n'irait pas dans le tableau.
Dans ce milieu d'homos, il y a une espèce de dimension tragique; on n'est pas là pour "s'amuser"; il peut y avoir une sorte de jeu avec la mort. Ce que décrit Guillaume Dustan, après tout. En vérité, ce que cherche Franck avec Michel, c'est une forme de barebacking, sauf qu'il ne joue pas avec une maladie éventuelle, mais directement avec un assassin; et on se dit que l'enfermement, c'est aussi celui dans lequel vivent ces hommes, avec leur idée fixe qui les coupe du reste du monde.
Il faut prendre le film dans sa radicalité -ou le laisser, mais ce serait dommage, car il y incontestablemnt la main d'un vrai cinéaste, et pas les tristes temps qui courent en France, ce n'est pas si fréquent.