Vous avez déjà eu un orgasme ? Vous n'êtes pas obligé(e) de répondre, ça ne me regarde pas après tout. En tout cas, si la réponse est positive je suis sûr que c'était différent de ce que vous pourriez ressentir devant ce film d'Alain Resnais. Parce que le cinéaste français vous excite tellement sur le plan intellectuel qu'il en naît un résultat inédit : un orgasme cérébral. Mon Oncle d'Amérique est une oeuvre qui ne cesse de stimuler le spectateur, tout le temps, partout. ( Alors oui un orgasme c'est cérébral à la base, mais vous m'avez compris ). Sur la forme déjà, Resnais ose un des paris les plus audacieux qui soient, et ça fonctionne parfaitement, participant de la jouissance qu'on éprouve devant une idée aussi folle : entremêler la fiction, le documentaire, et l'étude scientifique style émission programmée à 2H du mat' sur Arte. Tout se mélange sans souci, parce que finalement le fond de la fiction et du documentaire sont similaires, la forme n'est plus un obstacle. L'absence d'unité formelle s'efface au profit du sujet en quelque sorte.
Dans le film il y a surtout un petit miracle : Resnais parvient à rendre poétique un discours scientifique. Il s'empare d'un sujet rigoureux, objectif, froid, et arrive à créer un objet d'une force émotionnelle rare. C'est particulièrement grâce à un montage d'une profondeur rare que l'auteur touche le spectateur. L'idée de génie qu'il a - et qu'il utilise peut-être un peu trop ceci dit - est tellement simple qu'on se demande pourquoi personne n'y a pensé avant. Ce montage qui fait s'entrechoquer et dialoguer les vies de la fiction ( celles de Garcia, Pierre et Depardieu ) et les vies d'autres fictions ( Darrieux et les autres ) est non seulement un témoignage d'une des thèses du film ( l'importance des autres chez chacun, et la manière dont ils participent à la construction de notre identité ) mais aussi un manifeste évident du pouvoir du cinéma ( ça reste plus subjectif à ce niveau quand même ).
Mon Oncle d'Amérique est une sorte de film-choral sans effets de style grandiloquents, il ne recherche pas le suspense facile ou l'effet de surprise, ce que les détracteurs d'Iñarritu peuvent lui reprocher par exemple. C'est parce que Resnais s'intéresse plus aux causes qu'aux conséquences. Le film est aussi très bouleversant dans sa manière qu'il a de nous remettre à notre place. Ne sommes-nous pas de simples machines finalement ? Le conditionnement est au coeur du film, et le montage très simple Rats/humains ne peut qu'interroger le spectateur sur sa propre existence. Le danger pour l'être humain c'est de s'enfermer dans une logique mécanique, de perdre son essence même. Le film nous exhorte à dépasser une condition primaire basée sur l'action/réaction et à y injecter de la réflexion, puisque nous en sommes capables. Et surtout, il nous rappelle que le propre de l'homme ce sont les sentiments, dont l'apparente irrationnalité s'oppose à la mécanique des comportements primitifs.
Grand film fascinant, absolument bouleversant. Sorte de croisement improbable mais réussi entre Amélie Poulain et les frères Bogdanov.