Avec "Mea culpa", le réalisateur opère un retour dans le cinéma d’action, un exercice qui l’a fait remarquer par le public avec succès dès ses deux premiers longs métrages que sont "Pour elle" (2008) et "A bout portant" (2010). Pour ce faire, il a cette fois réuni les deux rôles principaux des deux films que je viens de citer. On retrouve donc Vincent Lindon et Gilles Lellouche réunis sur la même affiche. Certains n’apprécient guère Vincent Lindon, parce qu’il est souvent dans des rôles d’un homme plus ou moins tourmenté au point qu’il en est taiseux. Ce n’est pas faux. Sauf qu’ici, c’est à croire que le rôle qu’il tient lui a été taillé sur mesure et de ce fait, lui va comme un gant. Pour le constater, imaginez-vous à la place de son personnage. Imaginez que vous avez été responsable d’un accident. Imaginez que la culpabilité vous ronge jusqu’à la moelle. Imaginez que vous n’êtes de ce fait plus que l’ombre de vous-même. Imaginez que vous êtes KO debout, et simple spectateur de tout ce qui se passe autour de vous. Imaginez que vous n’avez plus aucun goût à la vie mais que vous ne vous résolviez pas à y mettre un terme parce que vous avez un enfant. Bon il faut préciser qu’il a aussi un sacré pote, Franck (Gilles Lellouche), qui le porte à bout de bras envers et contre tout, comme s’il était redevable de quelque chose. Eh bien Vincent Lindon, sous son apparence d’homme brisé avec le visage buriné et les yeux perdus dans le vague et en même temps rougis par une insoutenable culpabilité, interprète tout cela à merveille. Fred Cavayé a su prendre son temps pour décrire l’univers dans lequel cet homme désincarné (Simon) déambule tel un mort-vivant. Jusqu’au moment où un fait le fait sortir de son insupportable torpeur. Un événement bâti sur le concept si cher au réalisateur et si bien maîtrisé : se trouver au mauvais endroit au mauvais moment. Tout à coup, c’est le regard de Simon qui change du tout au tout. La détermination a supplanté le douloureux désespoir, et ses traits seront moins tirés par la suite. Une évolution remarquablement retranscrite ! Il s’ensuit un polar noir et nerveux à souhait, avec des poursuites, des bagarres et des fusillades. Il y a tout ce qu’il faut pour captiver le spectateur comme jamais et le tenir en haleine. Ce dernier ressentira que trop bien toute l’urgence et la gravité de la situation. La réalisation est de haute volée, avec des prises de vue caméra à l’épaule lors des poursuites, ou avec des prises de vue comme si le cinéaste se tenait tant bien que mal caché pour ne pas se prendre une balle tout en essayant de capter quelques images de la fusillade devant le commissariat. Oui, la réalisation est de très grande qualité... jusqu’à l’entrée en scène du TGV. C’est là que ça part en vrille. Non pas que le film baisse en intensité. Mais parce que les incohérences s’accumulent. Evidemment, ce n’est pas forcément perceptible par tout le monde, mais aux cheminots, c’est une toute autre histoire. On ne la leur fait pas, et encore moins aux conducteurs de train. Je m’explique : dans le film, on fait partir le TGV de la gare de Marseille-Saint-Charles. Sauf que ce n’est pas cette gare qui est à l’écran. Et si je puis l’affirmer, c’est parce que je connais bien, très bien cette gare. D’accord elle est en impasse, avec des butoirs à l’extrémité de chaque voie, mais il y a toujours deux voies entre deux quais. De plus, la numérotation des voies (par l’intermédiaire de lettres) est inversée, et il manque même la voie F ! Et la marquise ne correspond pas non plus. Bref on a beau nous vendre que c’est la gare de Marseille-Saint-Charles, moi je vous affirme que non. Renseignements pris, c’est la gare de Paris Gare de Lyon qu’on voit à l’écran. En revanche, les adieux sur le quai ont été tournés à la gare Montparnasse, ce qui explique que le quai soit en courbe, alors que les voies sont droites à Marseille, hormis quelques-unes qui sont légèrement courbées en sortie de quai à l’extérieur (donc à l’autre bout). Mais passons à la suite des incohérences. Je passe sur le fait que la contrôleuse a eu vite fait de calculer le montant de l’amende, sans parler du fait qu’on la verra équipée plus tard d’un genre de talkie-walkie. Hum ! la radio portative n’a jamais été dans leur inventaire. Mais quand on fait partir un train de Marseille vers Aix, il ne longe pas la Méditerranée, comme on peut le voir ici. A moins que le TGV ne soit parti de Toulon, ville dans laquelle se passe l’intrigue au départ. Auquel cas, la gare de départ correspond encore moins, parce que… la gare de Toulon n’est pas une gare en impasse ! Et en plus, elle ne comporte pas autant de voies. Oups !! Bref. Mais que dire du signal d’alarme ? Tout le monde va croire qu’il suffit d’y tirer dessus pour l’arrêter. Sur ce type de matériel, l’action sur le signal d’alarme ne provoque pas l’arrêt d’urgence du train. Hé non. Par contre, celui qui aura tiré le signal d’alarme sera mis en relation avec un agent SNCF présent à bord du train. En revanche, l’annonce du contrôleur comme quoi le TGV est arrêté en pleine voie et qu’il ne faut pas ouvrir les portes est bien réelle, bien qu’allégée en seulement quelques mots. Mais il y a quand même des têtus. On est en plein dans la garrigue, mais il y en a qui sont plus forts que tout le monde et décident de continuer leur petit bonhomme de chemin... à pied !. A leur décharge, quand une fusillade a lieu dans un train, ça ne donne pas envie de rester. Mais dans ce cas-là, c’est l’ensemble des circulations ferroviaires qui est stoppé sur la zone ! Ou au pire, un ordre de circuler avec prudence est délivré aux autres trains qui doivent traverser la zone. Alors voir passer un, puis deux TGV à toute vitesse, ça ne marche pas. Pas pour un cheminot en tout cas. Et c’est dommage, parce que ça décribilise le récit. Puisque les gares vues sont parisiennes, Fred Cavayé aurait dû placer le déroulement de son histoire à Paris ou au pire dans sa banlieue. Mieux, il aurait dû se documenter davantage sur le fonctionnement du chemin de fer. Au-delà de ça, la première heure est hyper intense. On y retrouve tout le talent du cinéaste dans le cinéma d’action, en encore meilleur par rapport à ses deux premiers films, au point qu’on frisait la note maximale, ou pas loin. Les poursuites et les combats d’une rare violence (dans le cinéma français en tout cas) sont menés tambour battant, y compris dans ce fameux TGV. Malgré les nombreuses incohérences, il n’empêche que le tout se laisse regarder, grâce à un rythme maîtrisé bien balancé par une discrète et néanmoins efficace B.O. signée Cliff Martinez, alternant le trépidant avec des moments plus calmes, des moments calmes judicieusement utilisés pour recentrer les choses sur l’évolution des personnages. Quoiqu’il en soit, grâce à une bonne mise en scène, une excellente interprétation du duo Lindon/Lellouche avec le concours du jeune Max Baissette de Malglaive (Théo) et des malfrats qui ont vraiment la gueule de l’emploi (à commencer par Velibor Topic), il est impossible de ne pas être pris dans ce "Mea culpa" haletant très photogénique, dont on connaîtra le véritable sens du titre dans un final qui ne manquera pas de vous scier. Un 3,5/5 en ce qui me concerne, mais qui aurait mérité au moins 1 point de plus si la scène du TGV ne comportait pas autant d’incohérences.