No Time to Die ne prend le temps de rien, ni de regarder ses personnages vivre, ni de les voir disparaître. Il faut que tout aille vite. Trop de choses à raconter, de retournements de situation à orchestrer au son pompier du grand Hans Zimmer, alors qu’on y comprend rien, ou si peu, ou que le peu qu’on y comprend n’intéresse guère.
Non, ce qui fonctionne tient en quelques mots et en une image : le couple formé par Madeleine et James, auquel s’ajoute l’adorable Mathilde. Aussi la deuxième partie rehausse-t-elle la médiocrité initiale : la mise en danger de la cellule familiale à peine réunie trouve dans la contamination par ADN une métaphore audacieuse et pertinente, suivant l’idée qu’un agent double ne peut vivre sans se retourner vers le passé et voir son présent aussitôt disparaître. Nous percevons là le mythe d’Orphée, que le long métrage revisite intelligemment puisqu’il inverse les rôles : James devient à terme Eurydice qui, mordue par le serpent, est condamnée à s’effacer. Il demeure alors à l’état de souvenir que l’on se raconte telle une légende dans une voiture tout aussi légendaire (ultime scène).
Les qualités ici soulignées ne sauraient pourtant masquer l’échec d’un premier acte poussif et mal rythmé, incapable de doser l’action et la dérision : le film ne sait pas sur quel pied danser, perdu entre le réalisme brut de Skyfall (Sam Mendes, 2012) et l’humour parodique de Spectre (Sam Mendes, 2015). L’entreprise de démolition du héros masculin tel qu’il était représenté autrefois semble constamment forcée, surtout illégitime puisque Daniel Craig avait marqué un tournant notable avec Casino Royale (Martin Campbell, 2006) ; l’espion est convoqué à un tribunal moral, comme pour répondre des fautes de ses avatars. On se croirait dans le mauvais – comprenons, dans le dernier – OSS 117.
De plus, l’introduction de nouveaux personnages ou la révision d’autres déjà présents s’avèrent d’une grossièreté extrême : Q mute en homosexuel cuisinier et buveur de thé qui veille à savoir si la clé USB de Bond n’a pas traîné partout – allusion abjecte au Sida –, l’antagoniste et tout ce qui l’entoure – ses motivations, son histoire personnelle, sa psychologie – sont ridicules, à l’instar de la nouvelle 007 qui n’a pour seule fonction que de provoquer James et de surjouer la femme indépendante. Pour interpréter ces derniers, Rami Malek et Lashana Lynch sont exécrables, jamais crédibles dans des rôles mal écrits. Notons enfin que l’hommage à la saga, omniprésent depuis l’ouverture jusqu’à la clausule, contraint ce No Time to Die à multiplier les clins d’œil inutiles et lourdingues, jetant sur lui un discrédit et une facticité suspecte.
Voilà un long métrage spectral et pourtant épileptique, qui ne vaut que pour l’attachement qu’il porte à la famille de Bond et aux acteurs qui la composent.