À bord, le pilote et son équipier, bisexuels, secondés par un trio de stewards complètement pédés tentent de cacher la gravité de l’affaire aux passagers. Alors que ceux de la classe éco (les pauvres, évidemment) sont plongés dans un profond sommeil artificiel, les happy few de la classe business, plus méfiants et inquisiteurs (les riches paranoïaques et préoccupés de leurs intérêts) sont calmés par l’alcool et les drogues que l’équipage procure à satiété, sans omettre d’en consommer pas mal aussi. Lorsque la mescaline produit ses effets, c’est la débauche sexuelle qui règne dans la cabine et le cockpit. La morale de l’ensemble pourrait être sympathique, voire épicurienne : quand il n’y a plus d’espoir, autant oublier, vivre sans avenir, en baisant, picolant et avalant des pilules. Hélas, cette surconsommation n’est qu’illusoire, en offrant des paradis fictifs et provisoires. L’ersatz d’orgie et de franchissement des limites n’est donc qu’une chimère aux yeux du réalisateur de Parle avec elle, chez qui la chair n’a jamais été aussi triste, les personnages pessimistes et cyniques. À dix mille pieds, le lupanar volant, en dépit du dévouement des trois stewards, ne parvient pas à échapper à la morosité, guettant avec anxiété le dénouement. Heureusement, Pedro Almodóvar n’a pas sombré en totalité dans la noirceur et le désenchantement. Lorsqu’il s’extrait (par les appels téléphoniques qui résonnent en écho dans toute la cabine) de l’avion égaré, c’est pour installer en quelques instants des bribes d’histoires romanesques et émouvantes, où percent tous les thèmes chers au cinéaste. Il suffit ainsi de quelques plans, des notes d’Alberto Iglesias, pour se retrouver en territoire connu.
Film à la fois mineur et dépressif, à l’écriture néanmoins millimétrique, attestant une fois encore des qualités de son metteur en scène. Les plans ultimes d’un aéroport flambant neuf, mais inoccupé, comme laissé à l’abandon signent une comédie à l’esprit ouvertement gay et kitsch, aux dialogues crus et incisifs, qui ne tient pas toujours la distance. Sans doute une conséquence de l’altitude…