Superbe surprise que ce Bone Tomahawk, pourtant sorti en DTV et tourné par un no-name qui ne le restera peut-être pas si longtemps, s'il continue à offrir des œuvres aussi radicales et sûres de leur force. Car ce que réussit S. Craig Zahler est loin d'être évident, tant le virage qu'il choisit d'amorcer vers une horreur qui flirte avec la série B aurait pu ridiculiser un film qui pourtant, à force de garder sobrement son sérieux, finit par sidérer. Le traitement réservé aux cannibales, à la limite d'un fantastique bâti sur des images éculées et percluses de vieux serpents de mer propre à notre imaginaire d'hommes "civilisés", aurait en effet de quoi prêter à sourire ou dégoûter d'ignorance si le réalisateur l'avait appuyé avec les grands airs un peu trop sûr de lui de l'artiste qui s'essaie à un discours. Mais Zahler a bien compris qu'il fait du cinéma, pas de l'anthropologie, et sans jamais détourner ses personnages de leur quête originelle et en laissant son scénario à sa simplicité, il laisse la folie furieuse de son oeuvre s'installer tranquillement sans qu'on puisse la clouer au pilori pour la vision orientée ou prétentieuse qu'elle pourrait servir. Avec toute son épure scénaristique (les personnages sont très développés, mais jamais leur parcours ne vient servir un propos moral), et en s'éloignant du réalisme, Bone Tomahawk retrouve une capacité à marquer qui touche au mystique, au subconscient. Il atteint en effet, par sa sincérité et son absence de complexes, la peur irrationnelle qu'il infuse à ses personnages, la peur ancestrale de ceux qui ont été confrontés les premiers à la découverte du cannibalisme sans y avoir été préparés. Quand quelque chose vous surprend si brusquement, la seule défense qui tienne est de le rejeter d'emblée dans le registre du monstrueux, sans qu'aucune tentative de compréhension ne puisse émerger avant un certain temps de la paralysie provoquée par le choc. C'est cette impression d'avoir mis les pieds en enfer que cherche Bone Tomahawk, et il ne se permet pas d'y laisser choir ses protagonistes mais essaie au contraire de se draper au mieux de leur effroi pour nous laisser les y rejoindre un peu. L'ambiguïté quant au cadre spatio-temporel de l'intrigue (un décor typique du bush australien arpenté par des mexicains, l'évocation de l'époque de la Frontière et de ses pionniers alors que tout semble ici lourd et statique) et un certain humour gentiment moqueur (les personnages secondaires sont pour la plupart des péquenauds) fragilisent encore les Hommes qui peuplent Bone Tomahawk en donnant la sensation qu'ils sont échoués sur une terre qu'ils ne comprennent pas du tout. Les petites tergiversations du début amènent aussi cet humour léger mais assez bien senti, qui endort un peu l'attention avant que la réalité ne vienne tout rattraper. De même, si Zahler donne à son film un côté rugueux et désuet de western à l'ancienne, en apparence viril au point d'en être macho et un brin communautariste (le noir qui meurt en premier, forcément), ce n'est pas dans l'optique d'un discours social mais pour faire exploser gentiment et de façon très drôle ce genre de vétilles, ces brouilles ridicules dans lesquelles les hommes s'empêtrent parfois quand leur ennemi véritable est seulement la folie qui finira par prendre le dessus, avec pour catalyseur un cannibalisme au final sans visage. Bref, tenu jusqu'au bout et sans peur du ridicule, ce parti pris de ne jamais se cacher derrière une forme de recul fait de Bone Tomahawk un film radical et couillu, du genre de ceux que j'aimerais bien rencontrer plus souvent. Très, très bonne surprise.