Profondément partagé sur ce film et mal à l’aise. Le film fonctionne, même si c’est avec des gros sabots et à coups d’invraisemblances désarmantes (dans le régime tel qu’il est décrit, Demidov et Raisa ne pourraient pas vivre au-delà d’une séquence…). Il le doit beaucoup à ses acteurs ; pas tant Tom Hardy, bien fade, que Noomi Rapace éclatante de vérité, Gary Oldman égal à lui-même, Vincent Cassel qu’on n’aurait jamais imaginé en cadre du MGB… Il ne manque pas d’intérêt, dans sa description terrible de l’univers totalitaire ; exactement le même film aurait pu être fait avec pour toile de fond l’Allemagne nazie : c’est à la fois sa force et sa faiblesse. Force, pour le tableau du totalitarisme, faiblesse, parce qu’il gomme tout ce qui spécifique de la société soviétique et de son socialisme, avec ou sans guillemets.
Ce qui est profondément gênant, c’est la mise au service de toutes les ficelles du scénario (et de la réalisation) pour construire une fable viscéralement anti-communiste. Il ne s’agit pour moi pas de défendre le stalinisme et le goulag que Staline avait de l’URSS, mais justement, leur réalité est suffisamment horrible pour qu’il soit inutile d’en rajouter ; bien au contraire, en rajouter, et des tonnes, finit par enlever toute crédibilité au propos.
Le film part de l’histoire d’Andreï Tchikatilo, tueur en série de Rostov entre 1978 et 1990. Une des raisons de sa longévité criminelle est que, avant la glasnost, le dogme officiel était qu’il ne pouvait y avoir de tueur en série sous le socialisme. Dont acte. J’ignore si le livre dont est tiré le film présente les mêmes vices de forme, mais celui-ci fait tout pour noircir le tableau, ce dont le combat dans la boue de la fin est une magistrale et ridicule illustration. Citons deux points essentiels : l’histoire est basculée à la fin du stalinisme, l’URSS de Brejnev ne devant pas être assez sordide aux yeux de la production ; le dogme officiel est schématisé en « il n’y a pas d’assassins au paradis ». Prouesse : mort de Staline aidant, finir sur un happy end alors que cette thèse n’est pas altérée par le cours nouveau. Le film, parfaitement manichéen, est pris au piège de ses contradictions.
Bref, à trop vouloir prouver…