« The Voices » est le dernier film de Marjane Satrapi, auteure iranienne de la bande dessinée à succès « Persepolis », et met en scène, Jerry, un jeune déséquilibré, menant une vie solitaire, partagée entre son travail dans une usine de baignoires et sa relation imaginaire avec son chat et son chien.
Ryan Reynolds (grande surprise du film) campe le personnage de Jerry, jeune homme sensible, très attachant et surtout terriblement gauche, tandis que Gemma Arterton et Anna Kendrick interprètent les deux objets successifs du désir de Jerry, l’une Anglaise, jolie, sûre d’elle, hypocrite avec Jerry, l’autre, la « girl next door » américaine typique, jeune, douce, gentille, attentionnée, touchée par la différence de Jerry, secrètement moqué par tous ses collègues de travail, qui ne voient en lui qu’une calamité.
Jerry vit dans un monde imaginaire, enchanteur, où ses animaux lui parlent. Prisonnier de sa naïveté et de sa timidité, il est perché sur une haute branche de l’arbre du réel. Son imagination apparait au début du film comme salvatrice, le sauvant des affres d’une maladie qui n’est jamais donnée, mais qui s’apparente à une schizophrénie aïgue. Un jour, il prend son courage à deux mains et propose à Fiona (Gemma Arterton), un rencard. En voiture avec elle à une heure tardive, il renverse un cerf dont la tête transperce le pare-brise. Persuadé que le cerf l’a supplié de l’achever, il euthanasie le cerf. Horrifiée, Fiona s’enfuit, poursuive par Jerry qui finira par la poignarder accidentellement, puis l’achèvera de la même manière que le cerf. Sous l’influence de son chat machiavélique, qui le convainquera du plaisir de tuer, Jerry entamera une longue descente dans les enfers du crime et de la folie….
La légèreté apparente et humoristique du film recèle en vérité une densité psychanalytique qui rend le film fascinant. La forme du film illustre le combat intérieur de Jerry, entre blancheur et noirceur, bien et mal, à travers une mise en scène et une tonalité qui mêle humour et légèreté, au gore et à la noirceur. Nos lèvres sont tordues entre rire et dégoût, entre jouissance et horreur. Embarqués dans un itinéraire nous menant d’une douce fantaisie à la barbarie, on ne peut que se reconnaître dans ce personnage dont les actes reflètent le chaos intérieure, déchirée entre ses différentes voix qui s’expriment à travers les personnages du chat (le vice) et le chien (la probité).
Aucune critique ni jugement dans ce portrait d’un esprit déchire, possédé, juste une visite guidée dans les abysses de l’âme humaine. Le film interroge le rapport entre la pensée et les actes, la subjectivité comme projection sur le réel, la frontière microscopique entre victime et coupable, ainsi que le regard de la société sur ces gens considérés comme « malades » mais dont on peut se demander si ils n’expriment pas l’humain dans toute sa vérité et sa crudité. Autant de questions ambitieuses et passionnantes que soulève un film admirablement conduit, bon et en même temps répugnant, qui cachent aussi bien son jeu que certains fous refoulés.