« The Voices » est présenté comme une comédie, et s’en est effectivement une, mais une comédie très noire, qui met en scène un schizophrène en mal de traitement qui dérive vers le meurtre, une comédie très borderline qui peut très légitimement mettre mal à l’aise par moment. Marjane Satrapi propose un film qui ne manque pas d’intérêt et auquel on ne peut pas reprocher de faire dans le consensuel ! Elle maîtrise bien son sujet, la réalisation est classique mais dans certaines scènes clés (dans la maison dans la foret, ou celle de l’accident, ou bien encore la scène de fin dans le bowling) elle se révèle très intéressante et même assez inventive. Ryan Reynolds prends à bras le corps un rôle très difficile et il s’en sort très bien. C’est toujours très délicat et très casse-gueule d’interpréter la folie, on est toujours à la limite d’en faire trop et de tomber dans la caricature et le « n’importe quoi ». Reynolds réussi à donner corps à un homme perturbé, très affable et poli en société, un homme très lisse, tellement lisse qu’il en devient suspect et inquiétant. Et quand il bascule dans l’horreur, il ne départit pas de cette attitude, il assassine toujours avec ce visage doux, par moment il est carrément terrifiant tellement il fait tout ce qu’il fait avec un naturel total. Il ne souffre pas d’une double personnalité, Jerry reste le même, c’est juste que sans traitement la réalité est trop insoutenable, alors la seule échappatoire c’est de ne pas le prendre pour la vie soit moins laide, qu’il se sente surtout moins seul. A côté de Reynolds, la délicieuse Gemma Atterton et la non moins délicieuse Anna Kendrick campent deux innocentes ravissantes qui le resteront même post-mortem. Et puis il y a Bosco et surtout Mister Moustache qui méritent bien tous les deux une petite mention. Si le chien est débonnaire et bienveillant, le chat multiplie les répliques abominables. Son petit minois félin qu’on a envie de câliner cache une personnalité perverse, un peu comme son maître qu’il manipule sans vergogne, c’est assez jouissif par moment et les meilleures répliques, les plus drôles en tous cas, sont celles du greffier rouquin ! Le scénario, comme je l’ai dit, ne fait pas dans la dentelle. La schizophrénie de Jerry est somme toute assez facile à lire, le film donne une image simple, voire simpliste (voire même malsaine) de cette maladie. Pour résumer, handicapé d’emblée par une hérédité terrible, Jerry refuse de se soigner pour pouvoir continuer à entendre les voix dans sa tête, pour se sentir moins seul. Et quand il se retrouve avec son premier cadavre sur les bras, il conserve sa tête, là aussi pour converser avec lui et briser sa solitude. J’espère que les spectateurs de « The Voices » n’imagineront pas que tous les schizophrènes sont des sérials killers en puissance sinon Marjane Satrapi aura rendu un très mauvais service à la psychiatrie et aux malades, qui souffrent beaucoup et ne méritent vraiment pas ce genre de préjugés ! La majeure partie du temps, la réalité est montrée à travers le regard d’un Jerry sans traitement, c'est-à-dire que, pendant une grande partie du film, le spectateur est dans la peau d’un schizophrène qui ne voit pas la réalité comme elle est et c’est assez perturbant, je le reconnais. Ca peut aussi mettre mal à l’aise parce que du coup, on a tendance à éprouver de l’empathie pour lui. Et pourquoi n’en éprouverions-nous pas d’ailleurs ? Après tout, il est malade, il n’est pas pervers ni psychopathe. Mais ses meurtres sont tellement horribles qu’en tant que spectateurs, on est mal à l’aise à cause de cette empathie. Dans les scènes difficiles, du coup, on entend pas mal de petits rires nerveux dans sa salle. A premier abord, ces rires me semblaient incongrus et même malvenus mais après réflexions, je pense que c’était la traduction de ce sentiment de malaise. Au rayon des petits défauts, je regrette quelques petites choses pas du tout crédibles, des petites facilités scénaristiques un peu trop évidentes : Non, on n’ouvre pas une porte fermée à clef avec une épingle à cheveux, même dans les mauvais polars on ne le fait plus ! Non, on n’est pas taxé de sérial killer après un seul meurtre, par définition ! Et c’est quoi ce générique de fin ??? Tellement décalé, tellement étrange, tellement incongru qu’on sort de la salle avec un air hagard qui fait peur aux gens qui attentent pour rentrer à la séance suivante ! Néanmoins, « The Voices » mérite d’être vu, à condition de savoir dans quoi on met les pieds ; une comédie parfois amusante mais surtout très noire, très dérangeante, un poil malsaine… Pour spectateurs avertis en somme.