Après avoir brillé en 2007 avec Persepolis puis avoir ensuite livré deux films oubliables et oubliés, Marjane Satrapi revient pour sa quatrième réalisation avec un film qui prouve que son cinéma a encore des choses à offrir. Ici elle n'adapte pas une de ses BD comme elle avait pu le faire avec ses deux premiers film, ici elle décide de s'attaquer à un scénario black listé qui traînait depuis pas mal de temps dans les couloirs d'Hollywood. D'ailleurs il est clair que Satrapi s'impose comme une faiseuse plus qu'une auteur ici, car elle prend avec ce film un virage assez différent de ce qu'on avait l'habitude de la voir faire, ce qui en soit est une prise de risque appréciable. Parce qu'ici même si on retrouve certaines thématiques du cinéma de Satrapi, elles ne sont que minimes et l'histoire qu'elle nous conte est radicalement différente. On va ici plonger dans la psyché d'un schizophrène, qui dans sa folie va être poussé à commettre l’irréparable. D'ailleurs tout cela va être traité de façon assez légère, du moins en grande partie dans le récit, jouant habilement avec la déformation de la réalité vu par le personnage principal, on est littéralement dans sa tête et on ne voit que son point de vue sur les choses, avec un monde en rose fluo où tout est beau et pur. Il ne prendra pas véritablement conscience de ce qu'il fait, pensant rendre service plus qu'autre chose, il ne prend pas conscience de l'atrocité de ses actes car tout ce qu'il voit, il le voit de manière déformée. De conscience il en sera d'ailleurs beaucoup question dans le film, avec les deux animaux qui parle à Jerry et qui représente la conscience de Jerry, l'un est mauvais, manipulateur et sournois, il est représenté par le chat et l'autre, le chien, est protecteur, compréhensif et source de "stabilité". Au début on n'a que cet aspect binaire de la conscience, le bien et le mal qui se dispute Jerry mais dès que les choses commenceront à s'envenimer d'autres voix feront leurs apparitions soit à travers les victimes de Jerry soit à travers d'autres animaux de passages, et chacune de ses nouvelles voix poussent Jerry au meurtre, montrant bien la progression du mal chez le personnage
à tel point que la voix du bien fini même par être de plus en plus rare au point de fuir la maison
. Car ici la maison de Jerry à un aspect purement symbolique, il représente le palais mental du personnage et est perçu différemment selon le point de vue, beau et innocent selon Jerry, et sordide et malsain, selon les autres. Tout cet aspect du récit est très bien traité, que ce soit l'évolution du personnage qui perçoit petit à petit l'horreur qu'il est en train de commettre et qu'il part en recherche de rédemption. Mais néanmoins les explications que donnera le film sur son personnage sont trop simpliste et trop paresseuse, le trauma d'enfance et une cartouche trop souvent joué dans ce genre de film ce qui fait que la deuxième partie du récit perdra en intérêt étant plus classique et moins inspiré. De plus tout les autres personnages ont une psychologie trop succincte et pas assez développé, pour un film qui se base avant tout sur ces personnages cela est trop classique et dommageable. Tout comme cette romance en milieu de récit qui manque cruellement d'intérêt et est purement cliché, le film ne les évitent malheureusement pas. Ensuite le coté loufoque du film est appréciable, apportant un vent de fraîcheur bienvenu mais la folie de l'ensemble n'est pas assez poussé malgré quelques jolies fulgurances comme le générique de fin assez barré et euphorisant. En plus le dosage entre drame et comédie est plutôt bon arrivant à mettre assez de violence pour donner un aspect gore au film mais le tout traité de façon suffisamment comique pour éluder les aspects les plus glauques. Mais néanmoins malgré ses envies d'originalités, le film reste très classique du moins sur le fond faisant que l'ensemble ne sera pas aussi satisfaisant que prévu. Sinon le casting est impeccable même si mis à part le trio principal, les autres personnages ont du mal à exister, mais ils sont tous incarnés à la perfection. Gemma Arterton est toujours aussi ravissante et arrive à composer un personnage antipathique mais aussi assez attachant tandis que Anna Kendrick, toujours aussi radieuse, interprète son personnage avec beaucoup de justesse même si elle a tendance à jouer le même archétype de personnage. Par contre la vrai star du film c'est ici Ryan Reynolds qui crève littéralement l'écran arrivant à jouer à la perfection un type niais en jonglant constamment entre la terreur, l'incompréhension et la candeur. Et le véritable tour de force vient de son jeu de voix, car les voix du titre c'est lui et il campe les voix mentales de son personnage à la perfection, donnant un ton, un dépit et une personnalité propre à chaque différentes voix. Il prouve très clairement qu'il peut faire preuve d'une profondeur de jeu insoupçonné surtout pour moi qui le trouvais généralement très fade. Pour ce qui est de la réalisation, elle se montre très propre avec une belle photographie qui joue habilement avec les couleurs selon le point de vue de ou des personnages, un montage classique et habile ainsi qu'une sélection musicale assez plaisante. Tandis que la mise en scène de Marjane Satrapi se montre légère jouant habilement avec le hors champ et le suggéré, elle se montre d'une belle pudeur et d'un classicisme appréciable évitant l’esbroufe. De plus elle mélange habilement réalité et imagination avec l’incrustation d'éléments provenant de l'esprit de Jerry dans la réalité créant un univers visuel riche, intemporel et cohérent. Ce genre de petites folies visuelles sont vraiment la force du film, lui apportant beaucoup de fraîcheur et sortant le film du tout venant, lui donnant un minimum d'originalité. En conclusion The Voices est un bon film qui arrive à créer un objet cinématographique assez unique partant pourtant d'une histoire relativement classique. Néanmoins le classicisme du film n'est pas totalement évacué et le tout manque quant même cruellement de folie et de lâcher prise tout comme il manque de vrais approfondissements psychologiques. Tout cela est vraiment dommageable et entache la qualité du film, l’empêchant d'être le grand film barré qu'il aurait pu être mais néanmoins le talent du casting et la fraîcheur de la mise en scène emporte l'adhésion surtout que Marjane Satrapi montre qu'elle a encore des choses à offrir et que Ryan Reynolds prouve qu'il peut décidément être un bon acteur, un très bon même.