Stephen Hopkins et ses scénaristes ont choisi de ne pas retracer la vie de Jesse Owens mais de se concentrer uniquement sur la période 1933-1936, ce qui est à mon sens une bonne idée. On devine beaucoup de choses de la vie d’avant de Owens, sa fille née hors-mariage (à une époque où cela faisait très mauvais genre), la crise de 1929 qui plonge sa famille dans la misère, la rudesse de l’époque pour les noirs américains parfaitement illustrée par le personnage de son père, taiseux et froid, rempli d’une rage silencieuse et froide contre son époque et la façon dont l’Amérique traite sa population noire. Beaucoup de choses sont davantage suggérées que clairement montrées, ce qui est plutôt une qualité quand c’est fait avec parcimonie. Stephen Hopkins filme les scènes de sport avec intelligence et efficacité et Dieu sait que c’est difficile de bien rendre le sport au cinéma, l’athlétisme comme les autres. Il nous offre également, surtout dans sa dernière partie à Berlin, des scènes assez fortes comme l’entrée dans le Stade comble avant la finale du 100m, au milieu d’une foule qui tend le bras comme un seul homme vers son Führer : frissons (d’angoisse) assurés... Cela me donne l’occasion de souligner la qualité de la reconstitution, tant aux USA qu’à Berlin. J’étais d’ailleurs assez curieuse de voir comme le cinéma américain de 2016 allait pouvoir reconstituer ces JO pas comme les autres et son ambiance glaçante, et j’ai plutôt été convaincue par ce que j’ai vu à l’écran. Je regrette juste que la cérémonie d’ouverture ait été sacrifiée, cela aurait été l’occasion de montrer les athlètes américains refusant le faire le salut nazi devant la tribune officielle. Coté casting, Stephen James fait le job mais on peut quand même regretter son jeu un peu lisse, son petit manque de charisme, ce qui est dommage quand on interprète une légende. A ses côté, Jeremy Irons, Carice van Houten et surtout Jason Sudeikis sont très à leur affaire. Et puis je fais une petite mention à David Kross, qui fait honneur à l’athlète allemand Carl Long, dont le fair play mais surtout le courage mériterait bien un biopic à lui tout seul. En fait, le film propose en parallèle deux intrigues : d’un côté, l’ascension d’Owens, avec ses obstacles raciaux, ses déconvenues personnelles. Cette partie est traitée de façon assez conventionnelle (il gagne avec une facilité qui ne sonne pas très crédible !), les vexations racistes, les problèmes conjugaux, ses relations parfois difficiles avec son entraineur, tout cela n’est pas très original. De l’autre côté, les atermoiements du Comité Olympique américain et sa participation ou non aux JO de Goebbels et Hitler. Cet autre angle du vue n’est pas la moins intéressante des deux, je dois dire. Les arguments des « pour » et des « contre » sont parfaitement expliqués et recevables et l’on se dit qu’une légende ne tient parfois qu’à un fil. Néanmoins, le scénario est très indulgent avec les dirigeants de l’Olympisme américain de l’époque, et même avec la mentalité américaine en général. C’est aller historiquement un peu vite de dire qu’une partie importante de l’opinion publique américaine exécrait le nazisme en 1935… Non, en 1935, l’Allemagne d’Hitler n’inquiète pas vraiment, elle ne scandalise que très peu, elle fascine même quelques dirigeants américains. L’attitude cynique de Joseph Goebbels (interprété par Barnaby Metschrat qui a parfaitement intégré le personnage à en faire froid dans le dos !), le maquillage cosmétique de Berlin pour cacher les croix gammées et les étoiles de David peintes sur les vitrines, la fausse respectabilité affichée par le régime nazi le temps d’une Olympiade, tout cela est véridique et tout à fait bien rendu. En revanche, la cinéaste Leni Riefenstahl est particulièrement bien traitée par le scénario, qui la dépeint comme une nazie de circonstance, passionnée par son métier et qui transige avec l’idéologie dans le seul but de pouvoir continuer de travailler. Elle résiste même (un peu) à Goebbels dans quelques scènes, mais on la sent surtout prisonnière de sa peur. Je ne connais pas assez bien son histoire pour savoir si c’est crédible ou non, l’Histoire ne tient pas « Les Dieux du Stade » pour autre chose qu’un film de propagande nazi, tans pis pour elle… La dernière partie à Berlin donne à Hopkins l’occasion de montrer que le sport, c’est l’opposé de la guerre et de la haine de l’autre puisque sur le stade, plus de Blancs ou de Noirs, plus d’Allemands ou d’Américains (les autres nations n’existent pas dans le film d’Hopkins !) mais seulement des sportifs qui font de leur mieux et qui se serrent la main à la fin. C’est un message simple mais essentiel et plus que jamais d’actualité. Le scénario rappelle constamment, et surtout à la fin, combien la ségrégation qui sévissait aux USA était aussi scandaleuse et imbécile que les lois nazies étaient criminelles en Allemagne. D’ailleurs, lorsque Jesse Owens arrive au village Olympique de Berlin et qu’on lui explique qu’il n’y a pas de chambres spécifiques pour les Noirs, il trouve l’Allemagne d’Hitler accueillante par rapport à ce qu’il connait, comme quoi il n’y a rien de simple dans la vie… Pour conclure, « la couleur de la victoire » (merci encore une fois aux distributeurs français pour avoir choisi le titre le plus navrant possible) est un film très honorable qui, malgré quelques facilités et quelques raccourcis, rend un bel hommage à Jesse Owens, l’homme aux initiales prédestinées.