S'il est presque tout entier contenu dans son synopsis, La Grande Bellezza n'en demeure pas moins tissé d'un mystère infini. C'est cette aura d'irrésolu, ce parfum d'éternel, qui me permet de lui pardonner son architecture presque inidentifiable, son entremêlement baroque et illisible de scènes satiriques et poétiques sans cesse traversées par une étrangeté qu'on retrouve même dans les choix techniques, qui alternent plans iconiques captés de façon académique et utilisation d'un numérique (les flamants et la giraffe) qui interpelle même s'il est précisément là pour signifier la magie d'un artifice. Au final, l'oeuvre est opératique, sans doute à l'excès, et peut désarçonner à tout moment d'autant qu'elle ne se limite pas à une trame narrative claire. Le risque est grand de décrocher devant cette déconstruction filmique et l'inégalité de l'ensemble. Mais non, La Grande Bellezza m'a tenu captivé, parce qu'il dépasse petit à petit, dans un mouvement progressif à peine perceptible, le programme très clairement annoncé par son ouverture, à savoir le récit de la décadence de Rome et de sa culture. Plus que d'opposer le squelette de pierre de la Ville Éternelle et son architecture, où bat le pouls de son Histoire, au vide des vies mondaines de l'intelligentsia romaine, Paolo Sorrentino finit par amalgamer les deux en se recentrant sur son personnage de dandy cynique, servi par un Toni Servillo au charme et à la sensibilité étourdissants. Le film s'irise alors d'une humanité que je n'avais pas attendue, raconte le tourbillon d'un homme dont le vertige existentiel se nourrit de la ville qui l'entoure, éternelle bien au-delà de la mort qu'il lui prête. Parce qu'une ville et son histoire trouvent leur héritage en chacun, bien avant de le léguer à la civilisation contemporaine. Le chemin cahoteux du personnage est donc celui de qui retrouve la beauté dans son propre regard, envers et contre des mœurs décadentes au point d'en devenir grotesques et des illusions cyniques qu'il prenait jusque là comme rempart. Fragile et pratiquement illusoire, ce voyage intime ne pâtit donc au final pas tant que ça de son récit chaotique au point de paraître par séquences insensé. Comme si, écrasée entre l'étau des années et l'inconsistance du présent, chaque seconde de beauté, sursis forcément absurde, ne pouvait se dire qu'à demi-mot, par peur, en l'appelant trop clairement par son nom, de l'oublier ou de la voir disparaître. Fouillis mais par moments fascinante, l'oeuvre pourrait aussi bien relever de l'imposture que du chef-d'oeuvre. Impossible de trancher, et au final, à l'instar d'un personnage qui trouve la grâce dans l'abandon, je laisserais la beauté de Rome et de ses visuels rayonnants décider en moi à ma place.