A la sortie de ce long métrage, devant les critiques dithyrambiques de la presse et des spectateurs, je m'étais rendu au cinéma sûr d'avoir affaire à un chef-d’œuvre. Ce ne fut pas tout à fait le cas, du moins « La Grande Bellezza » ne l'était pas au sens où je l'entendais. Ma déconvenue fut donc à la hauteur de mes attentes, et j'ai longtemps pris le film de Paolo Sorrentino pour du sous Fellini, le copiant et le plagiant jusqu'à plus soif, pour un rendu des plus douteux. Avec le recul et des avis très positifs dans mon entourage plus ou moins proche, je me suis dit qu'il fallait que je donne une seconde chance à ce film, et maintenant que je connais bien plus l'Italie, j'ai vraiment pu l'apprécier.
Oui, Sorrentino fait du sous Fellini, ou du moins rend un certain hommage au maître Italien, n'arrivant pas tout à fait à l'égaler, mais proposant un long métrage original, intéressant, sensible, jamais ennuyeux. Il reprend le goût du grand Federico pour la peinture d'une bourgeoisie oisive, se perdant dans les fêtes endiablées et le non sens de leur existence. A ce titre, Jep (extraordinaire Toni Servillo !) est le roi des mondains. Il a connu la notoriété jeune avec un unique roman de dandy, et depuis il évolue dans la jet set, devenu d'autant plus cynique qu'il est sans illusions sur sa condition et sa vie ratée. Il mène en effet une existence superficielle avec un cercle d'amis à la vie tout aussi cabossée et superflue, loin des choses essentielles en ce bas monde, qui sont souvent les plus simples et les plus méprisées.
La beauté de ce long métrage réside dans le fait que Jep se rend compte tout d'un coup, à 65 ans, qu'il est passé à côté de quelque chose. Il essaie alors de rattraper en un sens ce temps perdu, en osant dire et faire ce qu'il aime et ce qu'il est profondément. Et sa lucidité est décapante, sans être hargneux il sait démonter les petits arrangements avec la vérité et il ne vaut mieux pas lui faire la leçon. Il sait aussi percevoir la beauté qui réside dans des petits choses qu'on dédaigne sans s'en rendre compte. Au fond, c'est un rêveur, mais un rêveur avec les pieds sur terre.
Je dois le dire, certains passages sont assez prodigieux, notamment quelques moments poétiques comme celui où des enfants courent dans un jardin de monastère. Plusieurs personnages valent également leur pesant de cacahuètes, je me répète mais il y a un côté terriblement lucide dans l'écriture des personnages, qui interpellent immédiatement : on se sent happé par leur histoire, même si elle peut sembler dérisoire. Elle est tellement réaliste que ce film nous parle directement, sans filtre.
Et à l'image de l'Italie d'aujourd'hui – qu'il faut connaître un minimum pour pleinement apprécier ce long métrage, comme je le disais en introduction – le beau, voire le sublime, côtoient la laideur et la vulgarité la plus crasse. Notre monde Occidental à la dérive ne parvient plus que par des fragments, des réminiscences, un reste de conduite « aristocratique » (je pense à Jep), même si en réalité elle n'est pas l'apanage des plus aisés ou d'une caste, à rappeler ces instants éternels où le temps s'arrête, où la beauté reprend ses droits.
Certes, Sorrentino reprend des aspects du baroque fellinien, des personnages au physique hors norme, du surréalisme sorti de nul part, de la vulgarité donc, un côté grand guignol picaresque. Et tout cela, en plus des thématiques abordées, peut faire très lourd et indigeste. Mais de façon surprenante, tout se tient, et l'on ressent comme une brise légère, comme l'envie de revivre à la manière de Jep. C'est donc avec plaisir que je révise mon jugement : il s'agit d'un film intéressant et touchant, une belle réussite en somme, servie par de talentueux interprètes et accompagnée, j'oubliais, par une excellente bande-son et de jolies musiques.