Abominable. En quelques décennies de cinéphilie, j'en ai vu des horriblités! Mais un film qui me laisse aussi mal, qui provoque autant de mal être, de mal être quasiment physique: non, je vois pas.
On commence par le monde tel qu'il devrait être: un brillant chirurgien arabe recevant un prix dans un amphithéatre de Tel Aviv. On finit par le monde tel qu'il est: Jenine, les ruines, ground zero. Entre les deux: l'insoutenable.
Amin, donc (l'excellent Ali Suliman), est chirurgien, arrivé (une superbe maison!), entouré de collègues amicaux, et il se voit décerner un prix important. Dans son bref discours de réception, il fait d'ailleurs de façon plaisante allusion à son origine (tous les arabes sont un peu juifs et tous les juifs sont un peu arabes!), phrase qui va rapidement prendre un tour de mauvaise farce.
Il est laïque, le soir en rentrant chez lui il se sert un whisky, sa femme est chrétienne, la mer est belle. Tout va bien.
Le lendemain de la remise du prix, un attentat endeuille cependant Tel Aviv. D'autant plus cruel qu'il s'est effectué dans un restaurant où se tenait une fête d'enfants, il y a onze morts parmi ceux çi. Amin opère, mais dans la nuit, il est rappelé. On lui demande de venir reconnaitre un corps. Dans le brancart extrait de la morgue, on voit bien qu'à partir de la taille, il n'y a plus rien. C'est le terroriste qui s'est fait exploser avec une ceinture de dynamite -et c'est bien sa femme, Siham (à qui Reymonde Amsellem prête son beau visage sérieux).
Amin est un peu secoué par le Shin Beth, mais ceux ci le relachent rapidement, convaincus qu'il n'était pas au courant. Quant à lui, il refuse totalement d'accepter la vérité, Siham faisait forcément partie des victimes innocentes, jusqu'à ce qu'il recoive la lettre qu'elle lui avait écrit avant de passer à l'acte.
Dans la seconde moitié du film, conduite comme un thriller, Amin va chercher à savoir comment, et pourquoi. Endoctrinée, forcément par des fanatiques musulmans. Il se rend donc à Naplouse, dans sa propre famille; sa soeur, son beau frère, son neveu Adel (Karim Saleh) avec lequel ils étaient très liés. Le choc, c'est de voir sur les murs, placardé le visage de Siham, devenue une héroîne, une icone. Il cherche à la mosquée, où officie un prêcheur fanatique, opposant le scandale de sa présence indifférente à ceux qui prient ou lisent les saint ouvrages.... Tout cela est d'une force, d'une justesse qui vous coupe le souffle.
Il trouvera sa vérité, une vérité stupéfiante. Incapable de dénoncer ceux qu'il a identifiés, se coupant de ses derniers amis, de ses derniers soutiens comme sa collègue russe Kim (Evgenia Dodina). Restant absolument nu, face à l'image que les gens de Naplouse lui ont renvoyée: le bon arabe, celui que les juifs utilisent pour montrer que non non non, il n'y a pas de racisme en Israêl, tous ceux qui sont déterminés à arriver le peuvent.... image profondément injuste, et en même temps pas complètement fausse. Enfermé dans sa réussite, il n'a rien vu, rien entendu; il n'a cherché ni à voir ni à entendre.
Ce qui est totalement désespérant, c'est qu'en sortant vous pensez que, non, il n'y a pas d'issue. Les Palestiniens sont condamnés à voir leurs terres bouffées petit à petit; et donc les islamistes à étendre le terrorisme dans le monde....
Le film du libanais Ziad Doueiri est un chef d'oeuvre absolu, si ce mot à un sens, car il ne cherche pas à l'être. Bon, on ne le verra pas au Moyen Orient, sous (le faux et mauvais) pretexte qu'il a été tourné en Israel, avec des acteurs israéliens. En fait, parce qu'il dérange. Il dérange tout le monde. A voir absolument, à ne manquer sous aucun prétexte, sauf si vous êtes dans une phase suicidaire. Là, s'abstenir....