Cinéma : "Tango libre", vraiment libre !
Où le tango argentin respire la liberté, même au sein d'une prison ! Remarquable film du réalisateur belge Frédéric Fonteyne, remarquable par son côté pictural, si simple et naturel, qu'à coup sûr personne ne pourra l'égaler...
Avec un synopsis qui tient de la fable, où même la chute importe peu, et la vraisemblance non plus, tant l'histoire tire sa force de la peinture à laquelle se livre la caméra.
Filmer la danse, voilà le défi, et il est réussi, le résultat est tout simplement fascinant : grâce à de nombreux plans rapprochés, les corps des danseurs révèlent à la caméra forces et fragilités, timidités, audaces. Des mouvements particuliers, des frémissements à peine esquissés. Une sensualité quasi constante ! - l'actrice principale, Anne Paulicevich, est un cadeau pour ce film, non seulement parce qu'elle est fluide, souple, insolente à souhait, mais aussi peut-être parce qu'à son insu, sa personne, sa propre personne, bien en amont de son interprêtation de comédienne, dégage expressément cette émotion qui va bien avec le tango, et spécialement le tango "libre"...
Ce nez un peu long lui donne ce profil un rien "pointu" dans le genre de celui de la petite liseuse de Van Gogh, petit air secret et volontaire à la fois... ce nez explose de sensualité, il est fou, ce nez ! alors cela suffit vraiment... on le sait déjà, dés les premiers plans où elle apparait, Anne Paulicevich, le film aura le ton juste, c'est gagné, porté dés la première séquence où elle apparait, où la caméra monte lentement depuis ses pieds jusqu'à ses jambes...
Mais il n'y a pas qu'Anne Paulicevich : les autres acteurs sont aussi révélateurs à leur insu. Vous diriez dans un premier temps : mais pourquoi faire danser le tango par des obèses ? certes, presque tous présente une nette surcharge pondérale, ces danseurs ! Mettons à part le gardien de prison, JC, qui n'est tout de même pas maigre, en tous cas les autres sont pas mal ventripotents et charnus, à commencer par l'acteur espagnol qui joue "Fernand", Sergi Lopez, excellent, mais aussi "Dominic", joué par le belge Jan Hammenecker, sans compter le prisonnier argentin joué par Mariano "Chicho" Frumboli, grassouillet aussi. Au moins ça semble de la chair ferme, des ventres bien tendus, pas mollassons, pas flasques. De l'épaisseur et virile en plus. Une danse des éléphants, c'est ça, le tango ? En fait le choix de tous ces gros est fort intéressant, cela confère de la puissance aux pas de danse, c'est émouvant quand les corps se rapprochent, gros mais puissants comme deux cargos, comme des baleines effrontées pleines d'audace, lentes et rapides à la fois, et leurs pieds sur le sol, ça tape lourdement et pourtant l'impression laissée est bel et bien la légèreté et l'envol.
Ces gros qui dansent, c'est amusant de penser que justement, dans le tango, c'est le poids du buste du danseur qui guide la partenaire, et non ses bras, ou ses mains, mais bien le poids de son corps. Alors si ce poids est conséquent, la danse prend une allure de charge puissante, élégante mais puissante.
A voir, cet extrait vidéo qui montre l'une des séquences clé du film. Le tango est dansé entre hommes, et pour cause, puisqu'on se trouve dans une prison pour hommes. Historiquement au début du XXème siècle, quand les immigrants argentins dansaient le tango, ils le faisaient souvent entre hommes, ayant peu de femmes possibles comme partenaires. Ils se faisaient donc concurrence, une femme pour sept hommes, dit-on dans le film. Un film à ne pas manquer !