À la suite de son précédent court, Mathieu Turi rempile avec les moyens de combler quelques lacunes que son « Sons of Chaos » avait laissé. Le huis-clos devient son nouveau terrain d’expérimentation, où il contraste fortement avec les plans larges d’une clairière et des ruines. En confinant ses personnages à l’intérieur d’une sorte de capsule émotionnelle, il démontre qu’il est capable de manœuvrer dans la direction de comédiens, tout en les alignant sur sa mise en scène gagnante. Des héros sont ainsi confrontés à eux-mêmes, à leurs faiblesses et à leur destinée, dressant une nouvelle barrière dans les dialogues, mais qu’il surmonte avec une subtilité des plus plaisante cette fois-ci.
C’est à visage découvert que la collision de deux êtres les entraînera dans les tourments qui les hante depuis un moment. Que ce soit la francophone Julie (Isabel Jeannin) ou l’anglophone Michael (Ivàn González), chacun apportera des bagages qu’il conviendra de vider dans un ascenseur, trop serré pour eux. Coincés entre deux étages, ils cherchent tous deux à monter, voire s’élever pour mieux se redresser. Il n’est pas évident d’étaler toute la structure narrative, qui cultive des ellipses comme s’il fallait digérer chaque aspect de leur personnalité, jusqu’à entrer dans leur propre intimité. Pas de surprises cependant quant à leur interaction, les rapprochant de plus en plus, malgré la barrière du langage et une pression claustrophobique qui pourrait peut-être bien vaincre une Julie affaiblie. C’est dans la retenue qu’elle fonctionne, à commencer par son isolement dans le coin du fond, les écouteurs aux oreilles et le regard timide envers ce bavard de Michael.
Pourtant, ses multiples maladresses se justifient, dès lors que l’on apprend un peu mieux à les cerner. La nature silencieuse du duo trahit ce qu’ils préservent, au risque d’en souffrir davantage. Michel n’étant pas habile avec ses mots, il en fait des mauvaises blagues ou se contredit intérieurement, d’où sa présence dans l’ascenseur au lieu de préférer l’effort des escaliers. Lui, qui est un concepteur et bâtisseur de métier, confond ses objectifs et ne sait pas comment sonder la détresse de Julie. Avec un faible vocabulaire en commun, la phonétique d’une langue ne peut l’emporter sur l’autre. Mais la malice du manque de sous-titres, c’est bien sûr d’intégrer le spectateur dans plusieurs degrés de lecture. Que l’on comprenne couramment soit l’anglais, soit le français, soit les deux, Turi nous balade toujours côté émotions et c’est le contexte recherché par ce dernier. Le défi est différent techniquement, car il faudra plus d’un gros plan pour que cette rencontre nous apparaisse touchante et divine.
L’ascenseur est lui-même un personnage, témoin d’un couple qui s’abandonne dans l’excès ou la discrétion. C’est lui-même qui possède les moyens de les ramener vers leurs tourments ou bien de les délivrer de leur peine. Ainsi, « Broken » se laisse tenter par un conte de fée dans sa plus grande histoire de romance. Les héros mutilés y trouvent plus de sérénité, mais au prix d’un écart à combler entre deux êtres que tout sépare. Cette seconde semble être la bonne pour le réalisateur, qui rêve également de pouvoir accéder aux étages suivants, l’un après l’autre.