Bien sûr, le film repose en partie sur les épaules de la reine Catherine. Mais pas que! Aussi sur un scénario d'une finesse et d'une intelligence exceptionnelles, dues à Emmanuelle Bercot.
Notre Tsarine, comme beaucoup de nous autres pauvres femmes, a tendance, l'âge venant, à grassouiller du ventre. Quand elle tourne, en général, et ça doit lui demander pas mal d'efforts parce que je pense qu'elle aime bien vivre, on nous la montre amincie. Ici: non. C'est Catherine Deneuve avec ses kilos en trop, ce qui contribue à la vérité du personnage. Bettie a été miss Bretagne, elle a eu un grand amour de jeunesse qui s'est tué en voiture alors qu'ils se rendaient au concours de miss France; puis elle s'est mariée, a eu une fille, son mari a succombé à la seule mort qui fait rigoler tout le monde: il s'est étranglé avec un os de poulet....et maintenant, à la soixantaine, elle a repris sa chambre de jeune fille et vit avec sa mère, Annie (la toujours ingambe Claude Gensac) qui tient la caisse du restaurant familial de Concarneau. Un de ces restaurants faux rustique, où la nourriture est élaborée mais roborative, et où Chabrol aimait faire s'attabler ses notaire et médecin de province -peut être criminels, mais lequel? Le restaurant a de gros problèmes de trésorerie, femme seule, Bettie a sûrement du mal à en assumer toute la charge, et là dessus, son amant marié quitte sa femme.... pour partir avec une jeunette. Cela, annoncé par Annie, une de ces mères qui n'arrivent pas à s'empêcher de s'infiltrer dans la vie de leurs enfants.
C'est clair: Bettie est de ces femmes qui sont naturellement plus maitresses que mères. Sa vie amoureuse a sûrement été sa priorité; sa fille, Muriel, velléitaire, séparée après avoir été mal mariée, l'agace; elle soucie d'ailleurs bien peu d'elle, et pas plus de son petit fils. Tout cela est d'une justesse incroyable: tout cela sonne vrai. Bettie, on l'a rencontrée, c'est sûr!
Alors elle s'en va, dans sa vieille Mercedes, rouler d'abord sans but pour se désénerver, puis pour trouver des cigarettes -elle a arrêté de fumer-, mais c'est dimanche, tout est fermé, elle se perd, se retrouve dans une boîte miteuse implantée en pleine campagne, boit trop, et finalement se réveille au matin dans le lit d'un ineffable jeune bouseux dont les élans amoureux n'ont d'égal que la grossiereté involontaire de ses paroles "qu'est ce que tu devais être belle, toi, quand t'étais jeune" Ca tue!
Appel de Muriel qui a un boulot en vue et donc absolument besoin de caser son fils Charly. Du coup, Bettie ne reprend pas la route de Concarneau mais part chercher Charly (en Anjou) pour le conduire chez son grand père paternel (dans l'Ain). Beaucoup de rencontres dans ce road movie, tourné essentiellement avec des "acteurs" non professionnels: un petit pèpère resté fidèle à une fiancée morte à vingt ans et qui roule les cigarettes avec la tremblotte, un vigile de grande surface qui permet à la fugueuse de dormir sur un canapé de démonstration pendant que la pluie se déchaîne. Bettie est désagréable avec Charly, Charly s'enfuit; elle n'a plus un sou; elle ne sait pas lire une carte, elle ne dépasse pas le 100 sur autoroute; elle est un peu inadaptée à toutes ces aventures....le couple finit par atterrir à Annecy, pour ce rassemblement de miss sexagénaires que Bettie voulait à tous prix éviter, destiné à promouvoir une gamme "pour le troisième âge". Le troisième âge.... Ca achève.
Bon, ils finiront bien par arriver chez le grand père, Alain. Un ours mal léché de première. Le maire du village, aussi. Toute sa liste est réunie pour un pique nique au soleil, rejoints par Annie.... et Muriel, l'une à la recherche de sa fille, l'autre de son fils. Alain est battu, mais comme c'est le très séduisant Gérard Garouste, que pensez vous qu'il puisse arriver?
Finalement, les incompréhensions s'apaisent. La famille se retrouve. Charly adore cette grand mère nouvellement découverte. C'est une fin très optimiste et très tendre, gaie comme le soleil qui inonde cette merveilleuse vieille maison campagnarde. On est chez Renoir. Mais si le film est tendre, il est aussi assez cruel en nous montrant ce regard que la société porte sur l'âge -ces figures assez ridicules que sont devenues la plupart des anciennes miss....
Charly, c'est Némo Schiffman, le fils de la réalisatrice, et Muriel, la butée, celle qui envoie à sa mère un message plein à la fois d'attente et de ressentiment sur un débit de mitraillette, c'est Camille. Elle est excellente. Changez de métier, Camille, le cinéma vous tend les bras, et pour nos oreilles -quel soulagement....
Oui, j'ai adoré ce film. C'est la vie même. La vie de nos provinces, la vie de tout le monde, la vraie vie.