Kat Connor (Shailene Woodley) est une adolescente dont la mère a disparu, par une journée d'hiver comme les autres. Aucune enquête ne sera menée dans White Bird pour éclairer l'étrange disparition de cette femme : on apprendra seulement que le père de Kat (Christopher Meloni) a passé, avec succès, le test du détecteur de mensonges. Beaucoup plus tard, un inspecteur de police – qui est aussi devenu l'amant de Kat – lui livrera sa version des faits : elle est évidente, elle aurait dû sauter aux yeux de Kat, mais celle-ci s'aveugle tout au long de White Bird. Elle revoit sa mère dans ses rêves, toujours les mêmes: des rêves où Eve Connor (Eva Green) l'appelle dans la neige pour lui indiquer l'endroit où elle est. Ces séquences oniriques sont parmi les plus belles de "White Bird", leur blancheur uniforme et sans relief s'oppose à toute l'esthétique d'un film qui veut faire craquer la surface des banlieues pavillonnaires américaines, pour mettre à jour les névroses tapies dans les cuisines ou au bord des piscines, là où Eve Connor, comme des millions de femmes américaines, tue le temps en sirotant un cocktail. Un tel projet n'est pas nouveau – on pourrait citer un nombre incalculable de films s'en réclamant – et s'il fallait situer "White Bird" par rapport celui-ci, on pourrait dire qu'il est plus proche d'"American Beauty" de Sam Mendes que de "Loin du paradis". Je cite le film de Todd Haynes pour expliquer ce qu'il manque, à mon sens, dans "White Bird" : un grand personnage de femme piégée, enfermée dans sa vie comme un oiseau blanc dans le blizzard. Car il ne faut pas se méprendre sur le sens du titre du roman de Laura Kasischke, dont le film est l'adaptation : l'oiseau blanc dans le blizzard ne désigne pas Kat mais Eve Connor, une femme qui a peu à peu gelé dans son rôle de housewife, sa lente extinction est à peine suggérée dans "White Bird". L'un des enjeux dramatiques du film repose plutôt sur la rivalité qui oppose Eve, dont les désirs se sont engourdis avec le temps et les habitudes, à Kat, dont les seize ans marquent l'éveil sexuel. Ce conflit peut rappeler celui de Madame White et de sa fille dans "Carrie", ou de Mme Lisbon et de ses filles dans "Virgin Suicides", mais "White Bird" ne se situe ni dans l'horreur, ni dans la mélancolie. La partition que joue Eva Green, actrice choisie sans doute pour sa beauté si peu actuelle, se rapproche plutôt du grotesque et range le personnage d'Eve Connor du côté des caricatures, là où se trouvent tous les personnages adultes du film : la psy de Kat (désignée tout de suite comme une imbécile), le père de Kat, terriblement transparent, et l'inspecteur de police qui lui sert d'amant occasionnel. A quel moment du film, ressent-on, comme dans le roman de Laura Kasischke, le passage des saisons après la disparition d'Eve Connor : « Le printemps a commencé en avance par un matin de mars, avec une nuée de cris d'oiseaux inattendus et fragiles, puis les primevères et les violettes ont ouvert leurs frais bijoux au ras du sol. L'été est venu au monde comme un magnifique accident de voiture, ouvrant des milliers d'yeux sur nos corps, sous la lumière vive. L'automne, ensuite – avec l'odeur sale et âcre des entrailles de citrouilles. Et enfin, l'hiver nous est tombé dessus en petits fragments célestes brillants d'oxygène et d'éther, qui viennent frapper le sol comme de minuscules éclats de verre froid. Une année dans un Eden où aucune Eve n'avait jamais vécu ». A lire ces phrases, on se dit qu'il ne manque pas seulement à "White Bird" un grand personnage de femme, mais aussi une sensibilité, car Kat, dont on adopte le point de vue, n'a pas le temps de regarder les saisons passer en songeant à tout ce que sa mère ne verra plus, ne sentira plus jamais, elle pense surtout à baiser. Avec son voisin d'abord, puis avec l'inspecteur de police. C'est, au fond, le principal reproche que l'on peut adresser à "White Bird" : c'est un film parfaitement superficiel, qui adore l'adolescence et la jeunesse – éternelle chair fraîche du cinéma d'Araki – mais rêverait pourtant de trouver en elle une forme d'obscurité et de hantise, comparables à celles qui caractérisaient les personnages de "Mysterious Skin". En ce sens, "White Bird" clôt peut-être une trilogie sur l'adolescence hantée, commencée en 2004 avec "Mysterious Skin" et poursuivie ensuite avec l'étonnant "Kaboom" (2010), où le jeune Smith était poursuivi par l'étrange vision d'une fille rousse traquée par des tueurs masqués. Il s'agissait, dans ces deux films, de laisser un monde derrière soi, mais l'enfance ou l'adolescence étaient aussi montrées comme des cauchemars dont on ne sort jamais. Kat, elle, s'en est sortie. Lorsqu'on la voit, dans la séquence finale, prendre l'avion pour Berkeley, on sait que sa mère ne l'appellera plus jamais dans ses rêves. (Voir davantage sur mon blog)