La Vie domestique s’inaugure et se conclut par une même séquence de diners entre ‘amis’, ou plutôt entre nouveaux voisins et relations mondaines qui révèlent la conformité accablante (les discussions stéréotypées où pointent le racisme latent et le machisme stupide) et, pis encore, la vacuité de toute une société. Pourtant, pour ces femmes aisées qui ont interrompu leur carrière pour se mettre au service – ou carrément se sacrifier – d’un mari ambitieux, d’enfants très occupés, l’existence oscille entre le plein (la tenue de la maison, les courses, la préparation des repas,…) et le vide (l’oisiveté allégée par les rendez-vous avec les autres femmes pour un café matinal, scène particulièrement bien vue, un shopping dans les boutiques du centre commercial local). Le film s’écoule sur une journée qui, même si elle est particulière parce que Juliette attend une réponse pour un boulot dans une maison d’édition et que la disparition d’une gamine a eu lieu dans le grand parc qui jouxte le lotissement, pourrait constituer le modèle de centaines d’autres, cadencées par les mêmes tâches ingrates, dans ce sens où elles sont invisibles, considérées comme normales par le reste de la famille, et surtout pas épanouissantes.
Dans un décor de rêve, presque trop beau et policé pour être vrai, les défauts et les failles sont dissimulés sous le tapis épais des rites sociaux. Toutes les maisons sont identiques, meublées de la même façon, ce qui n’empêche pas de découvrir dans l’une un fatras indescriptible et une autre sera le théâtre d’une crise de nerfs démesurée face à un gamin turbulent. À côté de ce monde codifié et coercitif, la jeune génération, représentée par les adolescentes qui suivent l’atelier de Juliette, offre des perspectives encore moins réjouissantes dans une déferlante d’agressivité, d’insultes et de lieux communs abominables. À l’inverse, la mère de Juliette, récemment veuve, découvre un nouvel espace de liberté, enfin, trop tardivement, affranchie du poids d’un mari égoïste et peu attentionné. C’est peu de dire que les hommes, montrés comme arrogants et indélicats, ne pensant qu’à eux, sont mis à mal dans La Vie domestique. Un parti pris sans doute appuyé, mais dont il faut reconnaitre l’extrême justesse. Et il n’est pas sûr que les femmes s’en sortent vraiment mieux : enlisées dans une vie morne qu’elles s’acharnent, à peine convaincues, à considérer comme acceptables, au regard notamment de la misère du monde dont elles se repaissent avec obscénité, elles finissent par ployer sous le joug d’une domination masculine (matérielle et financière) qu’on pensait naïvement éteinte, encore bien réelle, même si elle emprunte des voies plus insidieuses.
Le tableau, qui a tout du roman à la Houellebecq, sitôt le vernis craquelé, n’est pas joli et la frontière est ténue entre la possibilité de le restaurer (que Juliette reprenne une activité professionnelle) et l’envie de le massacrer (qu’elle fuie au plus vite ce mari fade et infatué). En attendant, sa cigarette vespérale devient son unique et précieux moment de liberté, un instant où Juliette peut enfin penser à elle et, sans doute, réfléchir à son avenir.